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JF Cholley - Poisson |
Le
narrateur raconte comment, dînant un soir de l’année 1915 en compagnie
d’un certain Bioy Casarès dans une maison de campagne de la Calle Garcia
à Ramos Mejia, on s’était lancé dans une interminable conversation sur
la composition d’un roman qui devait démentir un certain nombre de faits
avérés et s’enferrer dans différentes contradictions de manière telle
que peu de lecteurs – très peu de lecteurs – fussent en mesure de
reconnaître la réalité en partie horrible, en partie totalement
insignifiante qui était cachée dans le récit. Au fond du vestibule
menant à la pièce dans laquelle nous étions assis – ainsi poursuit
l’auteur – était accroché un miroir ovale à demi aveugle qui nous
causait une sorte de malaise. Nous nous sentions épiés par ce témoin
muet et c’est ainsi que nous découvrîmes – au coeur de la nuit de telles
découvertes sont presque inévitables – que les miroirs ont quelque
chose d’effroyable. Bioy Casarès rappela à cet égard que l’un des
hérésiarques d’Uqbar avait expliqué que le caractère terrifiant des
miroirs mais aussi de l’acte de copulation tenaient au fait qu’ils
multiplient le nombre des humains. Je demandais à Bioy Casarès – ainsi
poursuit l’auteur – où il avait lu cette sentence pour le moins
mémorable et il m’apprit qu’elle était citée dans un article de l’Anglo-American Cyclopoedia consacré
à Uqbar. Mais cet article, ainsi qu’on l’apprend dans la suite du
récit, ne figure pas dans l’encyclopédie susnommée ; ou plutôt, il ne se
trouve que dans l’exemplaire acquis par Bioy Casarès des années
auparavant, un exemplaire dont le vingt-sixième volume compte quatre
pages de plus que tous les autres exemplaires douteux de cet ouvrage
édité en 1917.
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Heather Oelklaus - "cut out" a boy's life seen by a girls |
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Ted Preuss - Dollhead |
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Gerda Lelieveld - Sharing |
Sans doute sont-ce des souvenirs enfouis qui confèrent un caractère singulièrement hyperréaliste à ce que nous voyons en rêve. Mais peut-être aussi que c'est autre chose, une sorte de brume, de voile à travers lequel, paradoxalement, tout nous apparaît plus nettement en rêve. Une petite nappe d'eau devient un lac, un souffle de vent se transforme en tempête, une poignée de poussière en désert, un grain de soufre dans le sang en une éruption volcanique. Qu'est-ce donc que ce théâtre dans lequel nous sommes tout à la fois dramaturge, acteur, machiniste, décorateur et public ? Faut-il, pour franchir les parvis du rêve, une somme plus ou moins grande d'entendement que celle dont on disposait au moment de se mettre au lit ?
W.G. Sebald, Les Anneaux de Saturne, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, Gallimard
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Kenneth Hakansson - Hoje creek at Esarp |
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Filipe da Veiga Ventura - stella II |
World Wet Plate Day 2012 : ici.