dimanche 8 février 2015

Passez-moi cette faiblesse :


Yup'Ik


PROSPERO
— Mon fils, vous avez l’air ému, comme si vous étiez alarmé… Rassurez-vous, seigneur. Nos divertissements sont finis. Nos acteurs, je vous en ai prévenu, étaient tous des esprits ; ils se sont fondus en air, en air subtil. Un jour, de même que l’édifice sans base de cette vision, les tours coiffées de nuées, les magnifiques palais, les temples solennels, ce globe immense lui-même, et tout ce qu’il contient, se dissoudront, sans laisser plus de vapeur à l’horizon que la fête immatérielle qui vient de s’évanouir ! Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est enveloppée dans un somme… Monsieur, je suis contrarié… Passez-moi cette faiblesse… Mon vieux cerveau est troublé… Ne soyez pas en peine de mon infirmité… Retirez-vous, s’il vous plaît, dans ma grotte, et reposez-vous là. Je vais faire un tour ou deux pour calmer mon âme agitée.

FERDINAND ET MIRANDA
—  Nous vous souhaitons le repos.
William Shakespeare, La Tempête, Traduction par François-Victor Hugo
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samedi 7 février 2015

Pour ainsi dire flottante :


Egon Schiele - Femme assise


Nous trouvons, en premier lieu, un état d’angoisse général, une angoisse pour ainsi dire flottante, prête à s’attacher au contenu de la première représentation susceptible de lui fournir un prétexte, influant sur les jugements, choisissant les attentes, épiant toutes les occasions pour se trouver une justification. Nous appelons cet état « angoisse d’attente » ou « attente anxieuse ». Les personnes tourmentées par cette angoisse prévoient toujours les plus terribles de toutes les éventualités, voient dans chaque événement accidentel le présage d’un malheur, penchent toujours pour le pire, lorsqu’il s’agit d’un fait ou événement incertain. La tendance à cette attente de malheur est un trait de caractère propre à beaucoup de personnes qui, à part cela, ne paraissent nullement malades on leur reproche leur humeur sombre, leur pessimisme mais l’angoisse d’attente existe régulièrement et à un degré bien prononcé dans une affection nerveuse à laquelle j’ai donné le nom de névrose d’angoisse et que je range parmi les névroses actuelles.
(...) 


Deux figures


Il n’est pas difficile d’établir que l’angoisse d’attente ou l’état d’angoisse général dépend dans une très grande mesure de certains processus de la vie sexuelle ou, plus exactement, de certaines applications de la libido. Le cas le plus simple et le plus instructif de ce genre nous est fourni par les personnes qui s’exposent à l’excitation dite fruste, c’est-à-dire chez lesquelles de violentes excitations sexuelles ne trouvent pas une dérivation suffisante, n’aboutissent pas à une fin satisfaisante. Tel est, par exemple, le cas des hommes pendant la durée des fiançailles, et des femmes dont les maris ne possèdent pas une puissance sexuelle normale ou abrègent ou font avorter par précaution l’acte sexuel. Dans ces circonstances, l’excitation libidineuse disparaît, pour céder la place à l’angoisse, sous la forme soit de l’angoisse d’attente, soit d’un accès ou d’un équivalent d’accès. L’interruption de l’acte sexuel par mesure de précaution, lorsqu’elle devient le régime sexuel normal, constitue chez les hommes, et surtout chez les femmes, une cause tellement fréquente de névrose d’angoisse que la pratique médicale nous ordonne, toutes les fois que nous nous trouvons en présence de cas de ce genre, de penser avant tout à cette étiologie. En procédant ainsi, on aura plus d’une fois l’occasion de constater que la névrose d’angoisse disparaît dès que le sujet renonce à la restriction sexuelle.

Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Traduction par Samuel Jankélévitch, 1923
 
 
 
 
 

vendredi 6 février 2015

Dans une tempête d’émotions :

 
Judson Huss - Transformation of St. George


Chaque personne a droit à son propre secret et à sa propre mort. Et comment puis-je vivre ou mourir si je ne rentre pas en possession de ce droit qui est le mien ? C’est pour cela que j’ai écrit, pour vous demander de me rendre ce droit… et quand, une fois fini ce travail de deuil et sous la charge de vêtements de robes de chaussures et de bas noirs, une chair fragile et forte, chaude et vulnérable au gel, qui assurément va repousser et réclamera, affamée, de l’air, de la lumière, des caresses, du pain… réclamera des chemins pour marcher… des voix à écouter… des visages à regarder, du vent de la pluie du soleil et de la fraîcheur – et si marchant dans le bois inconnu de la vie j’ai envie de courir et si je meurs épuisée par une course heureuse sous le soleil, contre le vent… si je meurs de la surprise de quelque nouveau visage-rencontre caché derrière un arbre en attente, si je meurs foudroyée par l’éclair de la joie, étouffée par une étreinte trop forte, noyée dans une tempête d’émotions entraînant vers une mer qui invisible attend derrière la nuit, si je meurs vidée de mon sang par les blessures ouvertes d’un amour perdu que rien n’aura pu refermer, si je meurs poignardée par la lame effilée d’un regard cruel, je vous demande seulement ceci : ne cherchez pas à vous expliquer ma mort, ne la disséquez pas, ne la cataloguez pas pour votre tranquillité, par peur de votre propre mort, mais tout au plus pensez – ne le dites pas fort, les mots trahissent – ne le dites pas fort, mais pensez en vous-mêmes : elle est morte parce qu’elle a vécu.

 Goliarda Sapienza, Le Fil de midi
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The Reconcilliation