jeudi 3 mai 2012

Ce que sait la main :

Pont - Villard de Honnecourt - XIIIe siècle - son carnet est  ici.

La supériorité de la théorie sur la pratique et la dévalorisation consécutive de la technique dans la civilisation occidentale actuelle s’expliqueraient, selon Richard Sennett, par le fait que les idées sont plus durables que les matériaux : « le théoricien vaudrait mieux que l’artisan parce que les idées durent. » (p. 172) Pourtant, la mise en forme des matériaux ne peut se départir des idées : la conception est indissociable de l’exécution comme la tête l’est de la main. À travers une analyse proche de l’ergonomie, l’auteur se livre de fait à une démonstration de l’intelligence de la main. Il s’intéresse par exemple à la préhension qui correspond au « nom technique des mouvements dans lesquels le corps anticipe et agit avant de recevoir des données des sens. » (p. 211) Sous l’effet de son expérience, l’artisan parvient à anticiper les sensations lors de la saisie d’objets ou d’outils et à ajuster ses gestes en fonction de cette intuition forgée dans la pratique. Les gestes les plus anodins de l’artisan font ainsi appel à l’esprit en vue de fournir un bon travail. L’expérimentation via l’erreur est également caractéristique de l’artisan qui cherche à s’améliorer. Le propre de l’expérimentation est précisément de faire naître la conception de l’exécution. Le travail de l’artisan requiert donc une forme d’intelligence, une capacité à penser dans le faire. Cette intelligence pratique a aussi été théorisée dans des travaux français (que ne cite pas l’auteur), et notamment ceux de David Schwint (2005) qui a étudié le travail des tourneurs et tabletiers jurassiens. Selon ce dernier, les artisans mettraient en œuvre une intelligence pratique, rusée et créative, qualifiée de mètis2, dans leur travail. Cette mètis se traduirait à la fois par un savoir de situation et un art de combiner, et donc par une capacité d’adaptation essentielle au travail artisanal.

A propos de Richard Sennett, Ce que sait la main. La culture de l’artisanat (Albin Michel, 2010)
Anne Jourdain
Référence(s) :
Sennett Richard, Ce que sait la main. La culture de l’artisanat, traduit de l'américain par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Albin Michel, 2010, 403 p.


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© Rodrigo Abd, Nov. 26, 2011, Retalhuleu / Guatemala
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