Où les mettre, les morts de Buenos Aires et de Sao Paulo, de Mexico City, de Lagos et du Caire, de Tokyo, de Shanghai et de Bombay ?
Sebald, Campo santo, p. 39
Où les mettre, les morts de Buenos Aires et de Sao Paulo, de Mexico City, de Lagos et du Caire, de Tokyo, de Shanghai et de Bombay ?
Spencer Tunick - Mexico |
L’homme prudent connaît le temps; selon quoi il change ses batteries. Il assemble délicatement et avec diligence les peaux du renard et celles du lion. Avec des artifices de ce genre, il améliore ses affaires.Ce qui est contrefait ne se peut maintenir durablement. À la première suée, l’emplâtre se détache du visage qu’il recouvrait.L’art doit rester caché; et il ne se peut dissimuler s’il est fréquemment employé. Quand on veut paraître ce qu’on n’est pas, si l’on veut y réussir pleinement, il faut le faire comme en passant.…Les artifices licites sont des actes de prudence, que l’on emploie pour les autres avec des façons et dispositions si habiles qu’elles permettent de mener à bonne fin ses propres desseins. On les appelle actes de prudence pour les distinguer des mauvais artifices qui sont des actes d’astuce malicieuse.Les artifices acquièrent alors excellence et perfection quand celui qui les emploie laisse croire qu’il est loin de tout artifice.
JF Cholley - Poisson |
Heather Oelklaus - "cut out" a boy's life seen by a girls |
Ted Preuss - Dollhead |
Gerda Lelieveld - Sharing |
Kenneth Hakansson - Hoje creek at Esarp |
Filipe da Veiga Ventura - stella II |
Duane Michals - |
que comprendrecomment rendre compteparfois c’est le dégoûtla détressecette fureur du sangparce que tout avorteque chaque effort est vainque rien n’échappe à la fauxou parfoisc’est cette vénération cette joiejubilante cette suffocantelumièreet chaque visage m’émeutalors jusqu’aux larmes
Arman - ici. |
« […] Je suis au Nord un pavillon de bois dans la selva rouge, un mât-totem indien devant lequel on se rassemble pour célébrer le culte d’Osiris, près d’un mur de rocailles où les serpents fluctuent, fibres et coulis, replis d’os, mues de champs, je suis à l’Est une gare routière où des autobus entrent & sortent de mon corps comme des humeurs, comme le fleuve boueux qui charrie les troncs à Kajaani et sur tous les lacs de ce pays, fleuve fou des fulgurations, je suis à l’Ouest un océan où naviguent des vaisseaux qui cherchent la nacre et le corail, dont les équipages relèvent les filets, qui sillonnent la mer Rouge, je suis cet océan, cette étendue captive et capiteuse, cette lumière & cette poussière d’îles, je suis ce bouillon de culture, cette pêche, ces casiers d’huîtres, ces filins de mousse recouverts, je suis au Sud un hôpital, la chambre de Rimbaud, le pavillon des contagieux, le billard & la chaise électrique, les voiliers dans la baie d’Auckland, la brûlure, la plaie, la gangrène, le poison, la septicémie, le virus, le cancer, le capricorne, je suis Us-Yri, les îles éparses d’un archipel, le sperme brûlant qui gicle & le sang qui jaillit en bouillons rouges, la trame, le tissu, le pain, la chair & le tendon, la feuille & le pistil, l’utérus rétractile & le vagin ouvert, je suis la démence, la végétation, les climats & les saisons, la pluie…. »
Jean Dubuffet |
Tristesse
Le ciel change en rumeurs autour de mon sommeil,
Le temps tourne en regards autour de mes éveils,
Le lent cri des oiseaux cherche aux sources des pleurs,
Nulle retraite en moi n’est permise à mon cœur
Dès qu’il sent près de lui d’aventureux échanges…
Il ne remplira pas l’espace d’un bonheur,
Il n’attend pas l’aurore aux régions des anges,
Il ne veut que la peur, les ombres et le soir
Et le désir, plus sombre que le désespoir.
Giuseppe Pongolini |
Les pieds de la reine d'Angleterre le 15 mai 2012 - par Suzanne Plunkett - ici. |
Ici sur Reuter editor's choice 27/11/2009 |
16. L’homme le plus médiocre peut être complet s’il sait se tenir dans les bornes de sa capacité et de son talent. Mais les plus brillantes qualités de la nature sont obscurcies, effacées et anéanties, si cette juste mesure, nécessaire en tout, vient à manquer. Ce mal se fait souvent sentir dans les temps où nous sommes; car qui pourrait satisfaire aux exigences toujours croissantes d’une époque qui veut que tout se réalise avec la plus grande rapidité ?
Vers ce temps, il peut enfin se faire, parmi les lueurs soudaines d'une santé encore incomplète, encore sujette à variations, qu'aux yeux de l'esprit libre, de plus en plus libre, commence à se découvrir l'énigme de ce grand coup de partie qui jusque-là avait attendu obscure, problématique, presque intangible, dans sa mémoire. Quand longtemps il osait à peine se demander : « Pourquoi si à part ? si seul ? renonçant à tout ce que je respectais ? renonçant à ce respect même ? Pourquoi cette dureté, cette défiance, cette haine envers mes propres vertus ? » — maintenant il ose, il pose la question à haute voix et il entend déjà quelque chose comme une réponse. « Il te fallait devenir maître de toi, maître aussi de tes propres vertus. Auparavant elles étaient tes maîtresses; mais elles n'ont le droit d'être que tes instruments à côté d'autres instruments. Il te fallait prendre le pouvoir sur ton Pour et Contre et apprendre l'art de les pendre et dépendre selon ton but supérieur du moment. Il te fallait apprendre à saisir l'élément de perspective de toute appréciation — la déformation, la distorsion et l'apparente téléologie des horizons et tout ce qui concerne la perspective; et encore ce qu'il faut d'indifférence à l'égard des valeurs -opposées et de toutes les pertes intellectuelles dont se fait payer tout Pour et tout Contre. Il te fallait apprendre à saisir ce qu'il y a d'injustice nécessaire dans tout Pour et Contre, l'injustice comme inséparable de la vie, la vie même comme conditionnée par la perspective et son injustice. Il te fallait avant tout voir de tes yeux où il y a toujours le plus d'injustice, à savoir : là où la vie a son développement le plus mesquin, le plus étroit, le plus pauvre, le plus rudimentaire, et où pourtant elle ne peut faire autrement que de se prendre elle-même pour la fin et la mesure des choses, que d'émietter et de mettre en question furtivement, petitement, assidûment, pour l'amour de sa conservation, ce qui est plus noble, plus grand, plus riche — il te fallait voir de tes yeux le problème de la hiérarchie et la façon dont la puissance et la justesse et l'étendue de la perspective croissent ensemble à mesure qu'on s'élève. « Il te fallait » — il suffit, l'esprit libre sait désormais à quel « il faut » il a obéi, et aussi quel est maintenant son pouvoir, quel est, maintenant seulement — son droit...
PLACE-NAME ETYMOLOGY Bill Rankin, 2003 |
world maps with constant-scale natural boundaries : ici. |
Chuck Clark / Phobos base image by USGS, ici. |
Bataille de Lanka, Pamayana, Udaipur, 1649 |
(...)Il est une vaste contrée, grasse, souriante, abondante en richesses de toute sorte, en grains comme en troupeaux, assise au bord de la Sarayoû et nommée Kauçala. Là, était une ville, célèbre dans tout l’univers et fondée jadis par Manou, le chef du genre humain. Elle avait nom Ayaudhyâ.Heureuse et belle cité, large de trois yaudjanas, elle étendait sur douze yaudjanas de longueur son enceinte resplendissante de constructions nouvelles. Munie de portes à des intervalles bien distribués, elle était percée de grandes rues, largement développées, entre lesquelles brillait aux yeux la rue Royale, où des arrosements d’eau abattaient le vol de la poussière. De nombreux marchands fréquentaient ses bazars, et de nombreux joyaux paraient ses boutiques. Imprenable, de grandes maisons en couvraient le sol, embelli par des bocages et des jardins publics. Des fossés profonds, impossibles à franchir, l’environnaient ; ses arsenaux étaient pleins d’armes variées ; et des arcades ornementées couronnaient ses portes, où veillaient continuellement des archers.Un roi magnanime, appelé Daçaratha, et de qui la victoire ajoutait journellement à l’empire, gouvernait alors cette ville, comme Indra gouverne son Amarâvatî, cité des Immortels.
Ce poëme fortuné, qui donne la gloire, qui prolonge la vie, qui rend les rois victorieux, est l’œuvre primordiale que jadis composa Valmîki.Il sera délivré du péché, l’homme, qui pourra tenir dans le monde son oreille sans cesse occupée au récit de cette histoire admirable ou variée du Raghouide aux travaux infatigables. Il aura des fils, s’il veut des fils ; il aura des richesses, s’il a soif de richesses, l’homme qui écoutera lire dans le monde ce que fit Râma.La jeune fille qui désire un époux obtiendra cet époux, la joie de son âme : a-t-elle des parents bien-aimés qui voyagent dans les pays étrangers, elle obtiendra qu’ils soient bientôt réunis avec elle. Ceux qui dans le monde écoutent ce poëme, que Valmîki lui -même a composé, acquièrent du ciel toutes les grâces, objets de leurs désirs, telles qu’ils ont pu les souhaiter.
Feu - G. Arcimboldo - 1566 |
Herd of Buffalo Fleeing from a Prairie Fire - M Staus - 1888 |
Prairie fire - Frederic Remington - circa 1885 |
L'harmonie préétablie ne peut donc être troublée que par une personne responsable jouissant de l'exercice illimité de sa liberté. Seulement cette liberté illimitée de l'homme sera un jour cause de sa perte car pour qu il pût jouir en toute sécurité des forces de la nature il faudrait supposer qu il les connût complétement et d ailleurs quand bien même il les connaîtrait complètement il ne connaîtrait pas tous les rapports qui existent entre elles et qui sont les sources de toutes harmonies et de toutes fatalités. Qu'il vienne donc un jour à se méprendre sur les rapports énergiques de la nature et tout est perdu. La liberté illimitée que Dieu nous a donnée nous sert tout à la fois et de flambeau pour nous éclairer et de torche pour allumer notre bûcher.
(...)
Et qui vous dit qu'un jour le désastre la catastrophe que vous amènerez fatalement par votre orgueilleuse civilisation ne seront pas tels qu'il ne pourra plus y avoir de remède Voyez cet océan immense des mers entourer notre globe avec ses feux phosphorescents avec ses couches huileuses et grasses avec ses éléments si combustibles si inflammables que les volcans s'y allument sans cesse et qu'ils ne s'éteignent faute d'aliments que quand la mer les a abandonnés. Voyez d'autre part ce produit chimique le potassium brûler dans l'eau véritable feu grégeois qui va ouvrir la route a cent autres découvertes plus incendiaires encore. Et comprenez enfin comment un jour ou l'autre l'incendie peut s'allumer dans le monde.
San fransico fire - W. Coulter - 1906 |
The Fire Wheel - J. A. McNeil Whistler - 1893 |
Il est probable qu’il sera difficile de placer des électrodes dans la tête des gens de façon à pouvoir les contrôler. Mais le fait que les sentiments et pensées humaines soient si ouvertes aux interventions biologiques montre que le problème du contrôle de l’humain relève essentiellement du domaine technologique; un « simple » problème de neurones, d’hormones, et de molécules complexes; le genre de problème parfaitement solvable de manière scientifique. En gardant en tête cette obsession de notre société pour le contrôle social, on peut pronostiquer sans le moindre risque que de grandes avancées dans ce domaine ne vont pas tarder à être faites.
Douanier Rousseau - combat du tigre et du buffle - 1908 - ici. |
Pan met un point et se reprend à considérer la bienheureusement virginale matinée dans toute la vallée. — Et c’est la radieuse matinée, et tout le soleil et l’universel bonheur si insaisissable ! Et voilà ; à lui de s’arranger pour être heureux, comme cette matinée s’est arrangée pour être heureuse.C’est facile à dire. Pan se réabandonne à son galoubet imparfait mais fidèle et digne d’être appelé « mon vieux ». Il commence l’antique ballade : Je suis dégoûté des fraises des bois, et aussitôt s’arrête, dégoûté de la ballade elle-même.Mais enfin ! Le thym frissonne entre ses membres, les frelons bourdonnent, les tiges d’ombelles sont bien à l’aise dans l’air charmant, les cigales commencent à cuire à petits cris, il fait heureux à perte de vue !
Henri Rousseau - cheval attaqué par un jaguar - 1910 |
"Auparavant, je regardais ces instruments, primitifs en apparence, avec une certaine arrogance et partageais ce préjugé si largement répandu selon lequel des exécutions sur de tels instruments ne présentaient d'autre intérêt qu'historique. Il m'apparut alors qu'il s'agissait de la sonorité authentique et que les œuvres touchaient l'auditeur de notre temps avec une plus grande immédiateté que lors d'une interprétation de qualité égale jouée sur un piano de concert. La clarté de la sonorité argentée, les nuances de registres, la subtilité des gradations dynamiques et surtout la noble couleur chantante du médium restent en effet inégalés."
« La Hammerklavier est pour nous pianistes, ce que la neuvième symphonie est pour le chef d'orchestre : l'œuvre monumentale, l'œuvre culminante, ou, mieux encore, l'œuvre qui parcourt tout autant les profondeurs que les sommets. Aussi ne l'approchons-nous qu'avec respect »
Une chaîne subtile de maillons innombrables
Mène du proche au plus lointain ;
Où qu’il se pose, l’œil aperçoit des présages,
Et la rose parle tous les langages
– Et luttant âprement pour être un homme, le ver
S’élève le long des spirales de la forme.
Notre époque est rétrospective. Elle construit les sépulcres de ses pères, écrit des biographies, des histoires, des critiques. Les générations précédentes voyaient Dieu face à face; nous ne le voyons que par leurs yeux. Pourquoi n’aurions-nous pas, nous aussi, une relation originale avec l’univers ? Pourquoi ne pas avoir une poésie de l’intuition et non de la tradition, une religion qui se révèle à nous et non à leur histoire ? Pendant une saison au sein de la nature, dont les flots de vie nous entourent et nous traversent et nous invitent par la puissance qu'ils donnent, à agir en relation avec la Nature pourquoi devrions-nous errer parmi les ossements desséchés du passé, ou forcer les générations actuelles à une mascarade dans cette vieille garde-robe ? Le soleil brille aussi aujourd’hui. Les champs regorgent de lin et de laine. Il y a des terres neuves, des hommes nouveaux, des pensées inédites. Exigeons notre propre travail, nos propres lois et notre propre culte.
Hirotoshi Itoh - ici |
SOCRATEIl me suffit de poursuivre cette espèce de raisonnement de rêverie que je te faisais tout à l’heure.Nous avons dit, — ou à peu près dit, — que toutes les choses visibles procèdent de trois modes de génération, ou de production qui, d’ailleurs, se mêlent et se pénètrent.. Les unes font principalement paraître le hasard, comme on le voit par les débris d’une roche, ou par un paysage, non choisi, peuplé de plantes çà et là poussées. Les autres, — comme la plante elle-même, ou l’animal, ou le morceau de sel, dont les facettes pourprées s’agglomèrent mystérieusement, font concevoir un accroissement simultané, sûr et aveugle, dans une durée où ils semblent contenus en puissance. On dirait que ce que ces choses seront attendent ce qu’elles furent ; et aussi qu’elles augmentent en harmonie avec les autres choses environnantes... Il y a, enfin, les œuvres de l’homme, qui traversent, en quelque sorte, cette nature et ce hasard ; les utilisant, mais les violant, et en étant violées selon ce que nous avons dit, il y a un instant.Or, l’arbre ne construit ses branches ni ses feuilles ; ni le coq son bec et ses plumes. Mais l’arbre et toutes ses parties ; et le coq, et toutes les siennes, sont construits par les principes eux-mêmes, non séparés de la construction. Ce qui fait, ce qui est fait, sont indivisibles ; et il en est ainsi de tous les corps vivants, ou quasi vivants, comme les cristaux. Ce ne sont pas des actes qui les engendrent ; et on ne peut expliquer leur génération par aucune combinaison d’actes, car les actes supposent déjà les vivants. On ne peut dire, non plus, qu’ils soient spontanés, — ce mot est un simple aveu d’impuissance...Nous savons, d’ailleurs, que mille choses sont nécessaires dans le voisinage de ces êtres, pour qu’ils soient. Ils dépendent de toutes choses, quoique l’action de toutes choses semble, à soi seule, incapable de les créer.Mais quant aux objets faits par l’homme, ils sont dus aux actes d’une pensée.Les principes sont séparés de la construction, et comme imposés à la matière par un tyran étranger qui les lui communique par des actes. La nature, dans son travail, ne distingue pas les détails de l’ensemble ; mais pousse à la fois de toutes parts, s’enchaînant à elle-même, sans essais, sans retours, sans modèles, sans visée particulière, sans réserves ; elle ne divise pas un projet de son exécution ; elle ne va jamais directement et sans égard aux obstacles ; mais elle se compose avec eux, les mélange à son mouvement, les tourne ou les emploie ; comme si le chemin qu’elle prend, la chose qui emprunte ce chemin, le temps dépensé à le parcourir, les difficultés même qu’il oppose, étaient d’une même substance. Si un homme agite son bras, on distingue ce bras de son geste, et l’on conçoit entre le geste et le bras une relation purement possible. Mais, du côté de la nature, ce geste du bras et le bras même ne se peuvent séparer...
ici. |
Benjamin Wimmer - 2046 by Wong Kar-Wai - ici. |
Toute la philosophie, lui dis-je, n’est fondée que sur deux choses, sur ce qu’on a l’esprit curieux et les yeux mauvais ; car si vous aviez les yeux meilleurs, que vous ne les avez, vous verriez bien si les étoiles sont des soleils qui éclairent autant de mondes, ou si elles n’en sont pas; et si d’un autre côté vous étiez moins curieuse, vous ne vous soucieriez pas de le savoir, ce qui reviendroit au même; mais on veut savoir plus qu’on ne voit, c’est là la difficulté. Encore, si ce qu’on voit, on le voyoit bien, ce seroit toujours autant de connu, mais on le voit tout autrement qu’il n’est. Ainsi les vrais philosophes passent leur vie à ne point croire ce qu’ils voient, et à tâcher de deviner ce qu’ils ne voient point, et cette condition n’est pas, ce me semble, trop à envier. Sur cela je me figure toujours que la nature est un grand spectacle qui ressemble à celui de l’opéra. Du lieu où vous êtes à l’opéra, vous ne voyez pas le théâtre tout à fait comme il est; on a disposé les décorations et les machines, pour faire de loin un effet agréable, et on cache à votre vue ces roues et ces contrepoids qui font tous les mouvemens. Aussi ne vous embarrassez vous guère de deviner comment tout cela joue. Il n’y a peut-être guère de machiniste caché dans le parterre, qui s’inquiète d’un vol qui lui aura paru extraordinaire et qui veut absolument démêler comment ce vol a été exécuté. Vous voyez bien que ce machiniste-là est assez fait comme les philosophes. Mais ce qui, à l’égard des philosophes, augmente la difficulté, c’est que dans les machines que la nature présente à nos yeux, les cordes sont parfaitement bien cachées, et elles le sont si bien qu’on a été longtemps à deviner ce qui causoit les mouvemens de l’univers. Car représentez-vous tous les sages à l’opéra, ces Pythagore, ces Platon, ces Aristote, et tous ces gens dont le nom fait aujourd’hui tant de bruit à nos oreilles; supposons qu’ils voyoient le vol de Phaéton que les vents enlèvent, qu’ils ne pouvoient découvrir les cordes, et qu’ils ne savoient point comment le derrière du théâtre étoit disposé. L’un d’eux disoit : C’est une certaine vertu secrète qui enlève Phaéton. L’autre, Phaéton est composé de certains nombres qui le font monter. L’autre, Phaéton a une certaine amitié pour le haut du théâtre; il n’est point à son aise quand il n’y est pas. L’autre, Phaéton n’est pas fait pour voler, mais il aime mieux voler, que de laisser le haut du théâtre vide; et cent autres rêveries que je m’étonne qui n’oient perdu de réputation toute l’Antiquité. À la fin Descartes, et quelques autres modernes sont venus, qui ont dit : Phaéton monte, parce qu’il est tiré par des cordes, et qu’un poids plus pesant que lui descend. Ainsi on ne croit plus qu’un corps se remue, s’il n’est tiré, ou plutôt poussé par un autre corps; on ne croit plus qu’il monte ou qu’il descende, si ce n’est par l’effet d’un contrepoids ou d’un ressort; et qui verroit la nature telle qu’elle est, ne verroit que le derrière du théâtre de l’opéra. À ce compte, dit la Marquise, la philosophie est devenue bien mécanique ? Si mécanique, répondis-je, que je crains qu’on en ait bientôt honte. On veut que l’univers ne soit en grand, que ce qu’une montre est en petit, et que tout s’y conduise par des mouvemens réglés qui dépendent de l’arrangement des parties. Avouez la vérité. N’avez-vous pas eu quelquefois une idée plus sublime de l’univers, et ne lui avez-vous point fait plus d’honneur qu’il ne méritoit ? J’ai vu des gens qui l’en estimoient moins, depuis qu’ils l’avoient connu. Et moi, répliqua-telle, je l’en estime beaucoup plus, depuis que je sais qu’il ressemble à une montre. Il est surprenant que l’ordre de la nature, tout admirable qu’il est, ne roule que sur des choses si simples.
Iris Sandro - ici. |
À côté des iris sans fleurs
4
Je voudrais que tes joues
Brillent comme au loin, dans le souvenir que j’en ai,
La tuile un peu vieille d’une ou deux maisons seules
Au fond du mot Poitou,
Ou pareil que dans soudain la campagne américaine
Un grand manège où tu t’en vas, charpente en bois peinte roller-
Coaster sa construction savante et fine à travers les arbres...
On entend des cris, on entend
Le silence aussi.
Artic Age |
Pendant toute une journée que le beau temps
A été là, quelle impatience quel genou tendre
Sur la pelouse qui dégèle !
Que faut-il oublier pour mieux t’aimer ?
(Pour qu’un poème soit un bas de robe légère
À ta jambe.)
Des petites filles qui t’ont connue sans doute
Ont dit le mot bonjour, de loin
Et comme en riant dans ce paysage où tu pourrais courir.
Rustic Royalty |
Un jour le monde avait ton sourire
En octobre en automne quel plaisir d’oublier
D’aimer le temps dans les saisons, le monde
Avait tes joues dans sa couleur,
Ta jambe griffée dans un buisson donne-
Moi la main, donne.
Mais tout s’incline comment dans ce poème,
Où va la jambe du temps ?
Et qu’est-ce qui saigne ?
[...]
Gracchus |
37Finalement l’enfance c’est pas grand choseLes yeux du petit pauvre qui joue avec son ratNe brillent pas je veux direPas plus que celaEt celui qui s’émerveille c’est l’autre leMauvais riche qu’on seraQuand on aura grandiQuelle prose étrange que celle qui ne s’use pas quiNe meurt pas dans le pain qu’on achèteLe chemin qu’on demandeQui revientLa poésie c’est exactement le même dessinNoir et blanc sur du mauvais papierPas de couleurs comme on pourrait croirePas de belles retouches non plusPerros a écrit quelque part qu’un poèmeC’était « comme une prose de travers »Comme une arrête en sommeQu’on a dans la gorgeQuelque chose qui ne passe pas
Florence
(pour Mary McCarthy)
J’ai la nostalgie de l’encre noire
des seiches, Avril, des communistes
et des bordels de Florence —
tout, même les fées
anglaises qui hantaient les collines,
même les frissons et la fièvre
qui venaient chaque mois
et m’obligeaient à penser.
La pomme était là-bas plus humaine qu’ici,
mais il fallait longtemps pour que mûrisse
sa peau éblouissante et dorée.
Que les crabes étaient vulnérables,
raclant le fond comme des fers à repasser
dans leur antique armure
avec un rostre en forme de glaïeul,
faits pour qu’un enfant les prenne
et les jette, suffoquant, sur la berge !
Oh Florence, Florence, patronne
des aimables tyrannicides !
Où la tour du Palazzo Vecchio
perce le ciel
comme une aiguille hypodermique,
Persée, David et Judith,
les seigneurs et les dames du Sang,
au-dessus de l’informe
demi-dieux grecs de la Croix,
se dressent le glaive à la main
décapitation velue
de monstres, baquets d’entrailles,
décevante pâtée pour la meute.
Ayez pitié des monstres !
Ayez pitié des monstres !
Peut-être choisit-on toujours le mauvais côté —
Ah, avoir connu, avoir aimé
trop de David et de Judith !
Mon cœur pour le monstre saigne d’un sang noir.
J’ai vu la Gorgone.
La terreur érotique
de son corps sans défense, aux gros seins,
gisait comme une boue.
Les yeux louches, pétrifiant le tyran,
sa tête coupée pendait
comme une lampe à la main du vainqueur.
Robert Lowell, Pour les morts de l’Union, édition bilingue, traduit par Pierre Alien, Christian Bourgois, 1970.
Book of Blood - 2011 - John Harrison |
Florence
(For Mary McCarthy)
I long for the black ink
cuttlefish, April, Communists
and brothels of Florence –
everything, even the British
fairies who haunted the hills,
even the chills end fever
that came once a month
and forced me to think.
The apple was more human there than here,
but it took a long time for the blinding
golden rind to mellow.
How vulnerable the horseshoe crabs
dredging the bottom like flat-irons
in their antique armor,
with their swordgrass backbone tails,
made for a child to grab
and throw strangling ashore !
Oh Florence, Florence, patroness
of the lovely tyranicides !
Where the tower of the Old Palace
pierces the sky
like a hypodermic needle,
Perseus, David and Judith,
lords and ladies of the Blood,
Greek demi-gods of the Cross,
rise sword in hand
above the unshaven,
formless decapitation
of the monsters, tube of guts,
mortifying chunks for the pack,
Pity the monsters !
Pity the monsters !
Perhaps, one always took the wrong side…
Ah, to have known, to have loved
too many Davids and Judiths !
My heart bleeds black blood for the monster,
I have seen the Gorgon.
The erotic terror
of her helpless, big bosomed body
lay like slop.
Wall-eyed, staring the despot to stone,
her severed head swung
like a lantern in the victor’s hand.
Robert Lowell, For the Union Dead, Farrar, Strauss & Giroux, New-York, 1964.
Encarnacao do demonio - film d'horreur brésilien de José Mojica Marins, 2008 |
Où de dehors vers dedans vient quoi du début vers dehors allant ; quand finit dehors après alors là dedans avant arrive quoi vers dehors tâte ensuite pour tard choisir ; où c’est devant derrière par dehors, pourtant qui après loin dedans plutôt reste là sinon parti ; d’où c’est, quand là de dedans vers dehors vient, seul reste où après arrêt après poursuit, ainsi faisant ça agit ; quoi agit, ça faisant ainsi, poursuit après arrêt après où reste ; seul vient dehors vers dedans de là quand c’est d’où parti, sinon là reste plutôt dedans loin après ; qui pourtant dehors par derrière devant c’est où, choisir, tard pour ensuite ; tâte dehors vers quoi arrive, avant dedans là alors ; après dehors finit quand ; allant dehors vers début du quoi, vient dedans vers dehors de oùWo von außen nach innen kommt was von anfang nach außen geht; dann aus außen später und nach innen früher wird was nach außen riecht und für später steht; wo, was vor später früher außen, aber was nach später innen eher da steht denn geht; wo das, wann dort von innen nach außen kommt, nur steht wo später aus später geht, so es das tut; was tut, daß es so geht, später aus später wo steht; nur kommt außen nach innen von dort wann das wo geht, denn steht da eher innen später nach; was aber außen früher später vor was wo steht, später für und; riecht außen nach was wird, früher innen nach und; später außen aus dann; geht außen nach anfang von was, kommt innen nach außen von wo
Traduit de l’allemand par Jean-René LassalleExtrait de : Oskar Pastior: Kopfnuß Januskopf, Hanser 1990Série des palindromes, lisibles à l’identique du début à la fin, et à rebours de la fin vers le début ; ici : un palindrome de mots.
Karlheinz Stockhausen (1928-2007)
28.LE PARISIEN
d'abord il faut tout oublier. son adresse.son nom.ce que l'on a appris.ce que l'on a voulu apprendre.la musique lointaine des pays que l'on verra jamais.ensuite, on peut s'approcher.Monsieur le Poème dort.surtout ne pas faire de bruit.ne pas le réveiller brusque ment.car alors il prendra ses bagages et s'en ira pour toujours.il faut tirer les rideaux.pour chasser les mauvais rêves qu'il a dû faire.puis poser doucement le café à côté de lui.le cendrier.ses cigarettes préférées.et attendre. En ce moment il se réveille mais ne dit rien.il réfléchit.s'il croit que tu es trop seul trop désespéré trop...trop...alors il te parlera.et longtemps après que tu aies fini de transcrire l'acier de ses paroles coupera les branches sèches de l'arbre que ton père a planté lorsque tu es né.Letitia Ilea, Terrasses, cipM/Spectres Familiers, 2006, sans pagination
György Ligeti (1923-2006)