Armchair t - ici. |
Quand deux plans adhérents sont brusquement disjoints,
Avant que l’air entre eux ait rempli tous les points,
Un vide se produit. Si largement qu’abonde
L’afflux accéléré de l’air, l’onde suit l’onde,
Gagnant un lieu d’abord, puis un autre, puis tout.
L’air n’a donc pas comblé tout l’espace d’un coup.
Devant l’écart des plans, dit-on, l’air se contracte,
Pour moi, je vois un vide où fut un corps compact.
Ce que je voyais vide est plein. L’air est subtil ;
Mais peut-il se réduire ainsi ? Mais le pût-il,
Pour qu’il rentre en lui-même à ce point et resserre
Ses flots épars, le vide encore est nécessaire.
Allons, il faut se rendre, et, sans plus de détours,
Confesser que le vide est partout et toujours.
Je pourrais alléguer mainte preuve nouvelle,
Si j’avais à forcer une foi plus rebelle.
Te voilà sur la trace, et ta sagacité
Sans effort marchera droit à la vérité,
Tels, une fois lancés sur une piste sûre,
Les chiens au flair subtil sous l’épaisse ramure
Surprennent les abris des bêtes des forêts ;
Ainsi, de proche en proche, en leurs gîtes secrets,
Toi-même au fond des nuits te glissant vers les causes,
Tu traîneras au jour le mystère des choses.
Que si tu faiblissais, si d’un pas seulement
Tu déviais, alors, j’en puis faire serment,
De ma lèvre en doux chants coulerait comme un fleuve
La source inépuisable où mon esprit s’abreuve !
Et la vieillesse froide envahira mon corps,
Et de la vie en moi se rompront les ressorts,
Avant qu’ait de mon cœur passé dans tes oreilles
Ce trésor d’arguments amassé par mes veilles.
Lucrèce, De la nature des choses, vers -80, Traduction par André Lefèvre, 1899 (pp. 65-105).