jeudi 22 mars 2012
On n’eut à déplorer aucun blessé :
MAI 2008
Les manifestants, rassemblés autour de la fontaine du Luxembourg, s’ébranlèrent à 14h tapantes, ce samedi-là, dans un concert de sifflets et de klaxons. Hommes et femmes vociféraient des slogans hostiles au gouvernement et brandissaient des pancartes qui dénonçaient avec une ironie mordante tous les abus et les travers de notre société de consommation. Les manifestants étaient très nombreux, et leur détermination semblait sans faille. A un moment donné, sous la houlette d’un chef de chœur invisible, ils se mirent tous ensemble à chanter à tue-tête l’Internationale, poings brandis vers le ciel, assez nuageux certes, mais pas au point d’embrumer les esprits. En descendant vers la Seine, les manifestants aperçurent un premier cordon de C.R.S., casqués et cuirassés, qui barraient de leurs boucliers translucides l’entrée du pont Saint-Michel. De toute évidence, les policiers avaient reçu l’ordre d’empêcher les manifestants qui braillaient leurs revendications de franchir le fleuve, autrement qu’à la nage ou par les airs, afin de ne pas accéder au 36 Quai des Orfèvres et de ne pas investir le Palais de Justice, temple du respect des lois et pilier de notre démocratie balbutiante. Les manifestants, jeunes pour la plupart, étaient issus de toutes les classes sociales, comme on pouvait en juger par leurs vêtements bigarrés et plus ou moins à la mode. Ils continuèrent résolument d’avancer en rangées compactes qui s’étalaient d’un bord à l’autre du Boulevard, le regard altier et conquérant. Quand ils furent arrivés à la fontaine Saint-Michel, ils s’arrêtèrent brusquement et s’agglutinèrent autour de la cascade rocailleuse, en invectivant de plus belle les policiers goguenards qui leur faisaient face, impassibles et statiques, comme s’ils avaient été transformés en statues. Le face à face, d’une tension extrême, dura de très longues minutes. Puis soudain, sur on ne sait quel ordre tacite et silencieux, tous les manifestants extirpèrent de leurs sacs à dos quelques pavés de la grosseur d’une main. Ils les lancèrent aussitôt sur les forces de l’ordre, en criant à gorge déployée, au risque de se rompre les cordes vocales : « In-sur-rection ! Ré-vo-lu-tion ! ». Les pavés volèrent en direction des policiers. Qui subirent de plein fouet, sans broncher, cette grêle de projectiles qui s’écrasaient avec un drôle de bruit sur leurs boucliers. Les C.R.S. ne firent même pas usage de grenades lacrymogènes. La bataille prit rapidement fin, faute de munitions. Les manifestants reculèrent alors et se dispersèrent en chantant dans les rues adjacentes. Les policiers relevèrent la visière de leurs casques, se détendirent les muscles en faisant de petits sauts graciles et se mirent à discuter entre eux, sur le ton de la plaisanterie. La révolution était déjà terminée. Le quartier retrouva très vite son calme et sa circulation. On n’eut à déplorer aucun blessé, même léger, d’un côté comme de l’autre. Il faut dire que les pavés des manifestants étaient en mousse.
François Teyssandier