Tous ceux qui sont nés aux temps sourds
À demi étranglés, maladifs,
Ils ont ouvert eux-mêmes leur gorge pour pouvoir chanter,
Ils ont lavé leurs yeux dans les ondes célestes…
Elena Schwarz, Bourliouk, 1974
TRAITÉ DE LA FOLIE DE DIEU
Dieu n'est pas mort, il est seulement fou.
Cela, Nietzsche le sait, et Sirius aussi, et la Kolyma.
Cela peut se dire en sanscrit, en jouant des crécelles,
Dans un sifflet de train, en relevant l'ourlet d'une robe
(Mais au Ciel, on l'ignore encore).
Le six-milliardième nouveau-né pourrait vous le piailler,
Mais il n'osera pas, peur d'être renvoyé.
Mais nos nuits, qui les tient ? Nos jours, qui les étire ?
De nos planètes et comètes qui allume les feux ?
Sont-ce les anges, eux tout seuls ?
En voici un qui veille et qui, en bon comptable,
Dénombre les trillions d'atomes. Vaine tâche.
Et cet autre qui saisit un oiseau à pleins bras
Et qui gambade et rit et s'esbaudit, étrange…
Les anges aussi, alors ?
Le virus de folie est là sous la peau, dans le soleil et dans le cœur.
Si toute créature est folle, où s'ira réfugier le Créateur ?
La tête du monde a explosé.
Il fait froid dans l'Eden. Des trognes y parlent,
Et se nourrissent d'ivraie.
Il ne reste d'espoir qu'en la bonté de ceux
Qui dans la graine d'arachide encloront même la folie sacrée.
Elena Schwarz, La Vierge chevauchant Venise et moi sur son épaule, 1999, traduit du russe par Hélène Henry, +.
(...)
(...)Là ou l'âme et la mer s'amalgament,
Où la vague avale le coeur,
J'entends souvent comme sortant des algues
Des sortes de voix qui font peur.
Des appels, il me semble ; on soupire.
Cette voix, je l'ai connue enfant.
Je me penche et je vois un abîme,
des grumeaux d'âmes tournoyants.
Elena Schwarz, La bête-fleur, +.