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Giotto - Crucifixion -1303-1306 - Église de l'Arena à Padoue - +. |
Précisons. Tout ce que font les membres d'une société n'est pas
sociologique. Beaucoup de leurs actes, j'allais dire la plupart, sont
purement physiologiques, ou même purement psychologiques. Respirer, digérer, faire battre
ses paupières, remuer les jambes machinalement, regarder distraitement un paysage ou pousser un cri inarticulé, ce sont là des actes qui n'ont rien de social, sauf
le cas où ils sont l'effet d'une habitude contractée dans
le commerce des autres hommes et née d'une volonté
ou d'une croyance qu'ils nous ont communiquée. Mais
parler à quelqu'un, prier une idole, tisser un vêtement, scier un
arbre, donner un coup de couteau à un ennemi, sculpter une pierre,
ce sont là des actes sociaux, car il n'y a que l'homme en société
qui agisse de la sorte, et sans l'exemple des autres hommes qu'il a
copiés volontairement ou involontairement depuis le berceau, il
n'agirait pas ainsi. Le caractère commun des actes sociaux, en
effet, c'est d'être imitatifs. Eux seuls ont ce caractère ;
et, quand un acte qui d'ordinaire est purement vital ou mental
devient par exception social, c'est en tant qu'il a reçu une
empreinte spéciale par la vertu de l'imitation. Marcher au pas gymnastique dans un régiment, respirer comme il convient à un chanteur qui
a de la méthode, manger avec une fourchette, etc..., sont
vraiment, pour la raison indiquée, des actes sociaux.
Il n'y a que l'homme en société qui marche, qui respire, qui mange ainsi. Quant aux actes qui consistent
en une initiative nouvelle, en une découverte ou une
invention grande ou petite, ils ne sortent de la sphère
individuelle, ils n'entrent dans le monde social qu'au
fur et à mesure qu'ils se propagent par l'exemple et
tombent peu à peu dans le domaine commun.
Études de psychologie sociale, Gabriel Tarde, 1898, +, +.