dimanche 9 septembre 2012

Une volonté de bâtir :

 
Maurits Cornelis Escher  (1898-1972)  - air et eau
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...et quand on lui dit d'une chose qu'elle est comme elle est, il pense qu'elle pourrait aussi bien être autre. Ainsi pourrait-on définir simplement le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être « aussi bien », et de ne pas accorder plus d'importance à ce qui est qu'à ce qui n'est pas. On voit que les conséquences de cette disposition créatrice peuvent être remarquables ; malheureusement, il n'est pas rare qu'elles fassent apparaître faux ce que les hommes admirent et licite ce qu'ils interdisent, ou indifférents l'un et l'autre...Ces hommes du possible vivent, comme on dit ici, dans une trame plus fine, trame de fumée, d’imaginations, de rêveries et de subjonctifs ; quand on découvre des tendances de ce genre chez un enfant, on s'empresse de les lui faire passer, on lui dit que ces gens sont des rêveurs, des extravagants, des faibles, d'éternels mécontents qui savent tout mieux que les autres.
Quand on veut les louer au contraire, on dit de ces fous qu’ils sont des idéalistes, mais il est clair que l’on ne définit jamais ainsi que leur variété inférieure, ceux qui ne peuvent saisir le réel ou l’évitent piteusement, ceux chez qui, par conséquent, le manque de sens du réel est une véritable déficience. Néanmoins le possible ne comprend pas seulement les rêves des neurasthéniques, mais aussi les desseins encore en sommeil de Dieu. Un événement et une vérité possibles ne sont pas égaux à un événement et à une vérité réels moins la valeur « réalité », mais contiennent, selon leurs partisans du moins, quelque chose de très divin, un feu, une volonté de bâtir, une utopie consciente qui, loin de redouter la réalité, la traite simplement comme une tâche et une invention perpétuelles. La terre n’est pas si vieille après tout, et jamais, semble-t-il, ne fut dans un état aussi intéressant.
Robert Musil, L'homme sans qualité, vers 1930.



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