vendredi 5 juillet 2013

Tout dépend du coup d’œil :


Samantha Keely Smith - 2012-2013                                                                                                                                      : + :

L'allée des épines

Quone malo mentem concussa ? Timore deorum.
Horat., Sat. Lib. II, sat. iii.

1. L’envie ne m’accusera pas d’avoir dissipé des millions à l’État pour aller au Pérou ramasser de la poudre d’or, ou chercher des martres zibelines en Laponie. Ceux à qui Louis commanda de vérifier les calculs du grand Newton, et de déterminer avec une toise la figure de notre globe, remontaient sans moi le fleuve de Torno, et je ne descendais point avec eux la rivière des Amazones. Aussi, mon cher Ariste, ne t’entretiendrai-je pas des périls que j’ai courus dans les pays glacés du nord, ou dans les déserts brûlants du midi : moins encore des avantages que la géographie, la navigation, l’astronomie retireront, dans deux ou trois mille ans, des prodiges de mon quart de cercle et de l’excellence de mes lunettes. Je me propose une fin plus noble, une utilité plus prochaine. C’est d’éclairer, de perfectionner la raison humaine par le récit d’une simple promenade. Le sage a-t-il besoin de traverser les mers et de tenir registre des noms barbares et des penchants effrénés des sauvages, pour instruire des peuples policés ? Tout ce qui nous environne est un sujet d’observation. Les objets qui nous sont le plus familiers, peuvent être pour nous des merveilles ; tout dépend du coup d’œil. S’il est distrait, il nous trompe : s’il est perçant et réfléchi, il nous approche de la vérité.
Denis Diderot, La Promenade du Sceptique ou les Allées, 1747