lundi 24 juin 2013

Chasser toute sorte de douleur :


Lorem Ipsum                                                                                                                                                            : + :





Pour vous faire mieux connaître d’où vient l’erreur de ceux qui blâment la volupté, et qui louent en quelque sorte la douleur, je vais entrer dans une explication plus étendue, et vous faire voir tout ce qui a été dit là-dessus par l’inventeur de la vérité, et, pour ainsi dire, par l’architecte de la vie heureuse.
Personne, dit Épicure, ne craint ni ne fuit la volupté en tant que volupté, mais en tant qu’elle attire de grandes douleurs à ceux qui ne savent pas en faire un usage modéré et raisonnable ; et personne n’aime ni ne recherche la douleur comme douleur, mais parce qu’il arrive quelquefois que, par le travail et par la peine, on parvient à jouir d’une grande volupté. En effet, pour descendre jusqu’aux petites choses, qui de vous ne fait point quelque exercice pénible pour en retirer quelque sorte d’utilité ? Et qui pourrait justement blâmer, ou celui qui rechercherait une volupté qui ne pourrait être suivie de rien de fâcheux, ou celui qui éviterait une douleur dont il ne pourrait espérer aucun plaisir.

Au contraire, nous blâmons avec raison et nous croyons dignes de mépris et de haine ceux qui, se laissant corrompre par les attraits d’une volupté présente, ne prévoient pas à combien de maux et de chagrins une passion aveugle les peut exposer. J’en dis autant de ceux qui, par mollesse d’esprit, c’est-à-dire par la crainte de la peine et de la douleur, manquent aux devoirs de la vie. Et il est très-facile de rendre raison de ce que j’avance. Car, lorsque nous sommes tout à fait libres, et que rien ne nous empêche de faire ce qui peut nous donner le plus de plaisir, nous pouvons nous livrer entièrement à la volupté et chasser toute sorte de douleur ; mais, dans les temps destinés aux devoirs de la société ou à la nécessité des affaires, souvent il faut faire divorce avec la volupté, et ne se point refuser à la peine. La règle que suit en cela un homme sage, c’est de renoncer à de légères voluptés pour en avoir de plus grandes, et de savoir supporter des douleurs légères pour en éviter de plus fâcheuses.
Cicéron, Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction par Desmarais, Chapitre X, La peine peut être un moyen pour obtenir le plaisir, Morale de l'utilité.
: + :



vendredi 21 juin 2013

Me servir des mots :


Maurizio Cattelan - Linda Evangelista - PierPaolo Ferrari

Même si je connais beaucoup de langues, peut-être trop, je n'ai jamais su spécialement me servir des mots, en tête à tête face à un homme. Bien consciente qu'une phrase demande ordinairement un sujet, un verbe et un complément, et qu'il faudra au moins trois conjonctions pour lui donner toute sa complexité, ma maîtrise des mots ne va pas si loin, je n'arrive pas à les trouver, à dire le mot juste, celui qui compte. Je n’arrive même pas à dire à un homme les paroles indispensables telles que "prends garde à toi" et "je t'aime". Dans cet ordre. 

Audur Ava Ólafsdóttir , L’Embellie, traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
 


Pavel Havlicek - Chloé Sévigny

jeudi 20 juin 2013

Qui rencontrera le bonheur :


Alain Campos - Le loup                                                                                                                                            : + :


Du même côté
Dire ce qu’on dit chaque jour
les yeux fermés les yeux ouverts
Dire l’écharpe nouée dans l’air
la patience enfin mariée
enfin couverte d’agrafes
Son ombre changée en rosée
sa blessure dans tous les cœurs
comme un repas en plein azur
Une fleur terrasse le vent
Voici les murs rendus au plaisir
la lune ouverte à tout venant
le sable coulant des doigts
jusqu’au nadir
L’âme blonde du temps
dans sa cage du temps des galères
la tresser doucement sous l’eau


Je sais un être
une corne d’élégance
aux habitudes de fraîcheur
incendiant les doigts du feu
à même le silence
Le geste illuminé
par des rampes sourdes et fixes
libère un cheval de duvet
qui rencontrera le bonheur.
Gérald Neveu, Comme les loups vont au désir : toujours pour toi, 1948
: +

Alain Campos - CQFD

La douleur n´est pas éternelle :


Danielle Darieux - Le bon Dieu sans confession de Claude Autant Lara - 1953


La complainte des infidèles
Bonnes gens
Ecoutez la triste ritournelle
Des amants errants
En proie à leurs tourments
Parce qu´ils ont aimé
Des femmes infidèles
Qui les ont trompés
Ignominieusement
Méfiez-vous, femmes cruelles
Qu´on vous en fasse tout autant
La douleur n´est pas éternelle
Même chez le meilleur des amants
Vaincues par vos propres armes
Vous connaîtrez à votre tour
Et le désespoir et les larmes
De la jalousie et de l´amour

{Refrain:}
Cœur pour cœur
Dent pour dent
Telle est la loi des amants
Cœur pour cœur
Dent pour dent
Telle est la loi des amants.

Bonnes gens,
C´est le refrain des filles cruelles
Sans foi, ni serment
Trompées par leurs amants
Parce qu´ils ont aimé
Des femmes infidèles
Ils se sont vengés
Victorieusement
Ah! Souffrez mes tourterelles
Vous voici en peine d´amant!
Des inquiétudes mortelles
C´est vous qui connaîtrez le tourment
Répandez vos jolies larmes
Oui, pleurez, c´est bien votre tour
Vous avez dû rendre vos armes
Et l´amour est mort, vive l´amour

Danielle Darrieux Charles Boyer - Mayerling de Anatole litvak -1936

mardi 18 juin 2013

Par exemple la sympathie :


Electrostimulation


Mécanisme de la Physionomie Humaine - Guillaume Duchenne de Boulogne - 1862


-Les “émotions“, stricto sensu, désignent aujourd'hui pour un grand nombre de spécialistes, uniquement les émotions dites "basales" ou "primaires" ou “modales“, telles la peur, la surprise, la colère, la joie, la tristesse, le dégoût et quelques autres, au nombre d'une demi-douzaine à une dizaine, et leurs dérivées, émotions "mixtes", résultantes des mélanges des émotions basales. Leurs caractéristiques sont d’être des processus dynamiques qui ont un début et une fin et une durée relativement brève. Ces phénomènes “phasiques“ sont causés par des événements précis et inattendus.
-Les “épisodes émotionnels“ sont des émotions rémanentes : ils débutent comme les émotions basales mais ont des durées plus longues, un exemple caractéristique est celui du deuil, mais aussi de multiples circonstances de participation à des événements ou à des manifestations sociales : mariages, carnavals, fêtes et commémorations, compétitions sportives etc… L’état émotionnel commence souvent dans l’anticipation de l’événement, subit son apogée durant l’événement et persiste un temps plus ou moins long .
La rumination mentale est une autre forme d’émotion rémanente, elle consiste en retour souvent intrusif de pensées, images mentales ou souvenirs liés à un événement émotionnel passé.

-Les “sentiments“ tels que l’amour, la haine, l’angoisse, entre autres, se distinguent nettement des précédents par leurs causes plus complexes, par leur durée plus longue (“tonique“), et leur intensité plus basse. Bien que souvent construits sur une fixation affective à des objets précis ils persistent et sont vécus même en l’absence de ces objets.

-Les sentiments excessifs, apparentés aux états de dépendance affective qui caractérisent les addictions, constituent les “passions“.
Remarquons que la distinction que nous faisons entre “émotion“ et “sentiment“ rejoint la distinction qui est faite dans le langage courant entre “être émotif“ et “être sentimental“…

-Les “humeurs“ sont des dispositions ou états affectifs qui constituent un arrière plan plus ou moins durable imprégnant et orientant positivement ou négativement le déroulement de la vie quotidienne.

-Les “affects“ ou éprouvés affectifs sont les faces subjectives des états précédents. Certains caractérisent les émotions basales et leurs dérivées, certains autres sont durables et accompagnent ce que nous avons défini comme sentiments. (par exemple la sympathie que l’on porte à un ami, les affects de haine, de jalousie, d’amour… )
Jacques Cosnier, Psychologie des émotions et des sentiments, 2006 : + :



   Manabu Yamanaka - Gyahtei                                                                                                                                                  : + :

lundi 17 juin 2013

Mallorca :


Eddie Bonesire                                                                                                                                                        : + :


L’opposition farouche :


Alfred Eisenstaedt - Les enfants au théâtre de poupées regardant Saint Georges et le dragon - 1963      
: + :
Le programme est effectivement à la hauteur des ambitions : 150.000 m² de surfaces hors œuvre dont 90.000 m2 pour le commerce, ramenées provisoirement à 60.000 m² en raison de l’opposition farouche de la Chambre de commerce et des associations de commerçants du centre-ville qui redoutaient la concurrence d’Odysseum. Comme l’exige sa double fonction, la programmation se décompose en un « pôle ludique » et un « pôle commercial ». Au premier correspond une série d’installations consacrées à la détente et à la distraction : multiplexe cinématographique, patinoire à double piste dont une « ludique » avec mur d’images, sonorisation musicale et D’J pour l’animation, planétarium, aquarium « océanique », complexe aquatique de remise en forme, palais de la danse, complexe bowling-karting, wake shake (vague artificielle dans un espace couvert pour surfer), mur d’escalade, lieux de restauration « à thèmes », etc. Ces équipements devaient servir de « locomotives » au « pôle commercial ». Celui-ci prendra la forme d’un ensemble « intégré et paysagé » où coexisteront un hypermarché, une douzaine de moyennes surfaces spécialisées et plus d’une centaine de boutiques. Regroupées dans un « Village commercial », elles seront « organisées autour d’un espace végétal et d’un plan d’eau, et desservies par des rues semi couvertes. Contrairement aux malls artificialisés des années 1980, le village commercial ne sera pas climatisé, l’air naturel circulant depuis l’eau et les espaces verts qui l’entourent ». Le tout sera « ordonné selon une composition scénographique » qui donnera la priorité à la « valorisation de l’espace public », car, précisait l’adjoint à l’urbanisme inspirateur du projet, « les gens, demain, ne viendront plus seulement dans les centres commerciaux pour acheter, mais pour voir ».
Jean-Pierre Garnier, De l’espace public à l’espace publicitaire, Odysseum à Montpellier, L’Homme et la Société | n° 174, décembre 2009 : + :



Alfred Eisenstaedt -A man standing in the lumberyard of Seattle Cedar Lumber Manufacturing -1939

dimanche 16 juin 2013

Prévenir le danger :



Brad Templeton - 2002 - Barrages des Trois-Gorges - Chine                                                                              : + :


Cela me confirme dans ma résolution de m’en tenir désormais uniquement à la nature : elle seule est d’une richesse inépuisable ; elle seule fait les grands artistes. Il y a beaucoup à dire en faveur des règles, comme à la louange des lois de la société. Un homme qui observe les règles ne produira jamais rien d’absurde ou d’absolument mauvais ; de même que celui qui se laissera guider par les lois et les bienséances ne deviendra jamais un voisin insupportable ni un insigne malfaiteur. Mais, en revanche, toute règle, quoi qu’on en dise, étouffera le vrai sentiment de la nature et sa véritable expression. "Cela est trop fort ! t’écries-tu ; la règle ne fait que limiter, qu’élaguer les branches gourmandes." Mon ami, veux-tu que je te fasse une comparaison ? Il en est de ceci comme de l’amour. Un jeune homme se passionne pour une belle ; il coule près d’elle toutes les heures de la journée, et prodigue toutes ses facultés, tout ce qu’il possède, pour lui prouver sans cesse qu’il s’est donné entièrement à elle. Survient quelque bon bourgeois, quelque homme en place, qui lui dit : "Mon jeune monsieur, aimer est de l’homme, seulement vous devez aimer comme il sied à un homme. Réglez bien l’emploi de vos instants ; consacrez-en une partie à votre travail et les heures de loisir à votre maîtresse. Consultez l’état de votre fortune : sur votre superflu, je ne vous défends pas de faire à votre amie quelques petits présents ; mais pas trop souvent ; tout au plus le jour de sa fête, l’anniversaire de sa naissance, etc." Notre jeune homme, s’il suit ces conseils, deviendra fort utilisable, et tout prince fera bien de l’employer dans sa chancellerie ; mais c’en est fait alors de son amour, et, s’il est artiste, adieu son talent. Ô mes amis ! pourquoi le torrent du génie déborde-t-il si rarement ? Pourquoi si rarement soulève-t-il les flots et vient-il bouleverser vos âmes saisies d’étonnement ? Mes chers amis, c’est que là-bas sur les deux rives habitent des hommes graves et réfléchis, dont les maisonnettes, les petits bosquets, les planches de tulipes et les potagers seraient inondés ; et à force d’opposer des digues au torrent et de lui faire des saignées, ils savent prévenir le danger qui les menace.
Johann Wolfgang von Goethe, Les Souffrance du jeune Werther, 1774, traduit de l'allemand par Bernard Groethuysen

Yang Yi - Uprooted - 2007                                                                                                                                      : + :

 

mardi 11 juin 2013

Ton sourire désire les larmes :





C’est ta bonté, ta trop grande bonté, qui ne veut ni se lamenter, ni pleurer : et pourtant, ô mon âme, ton sourire désire les larmes, et ta bouche tremblante les sanglots.
« Toute larme n’est-elle pas une plainte ? Et toute plainte une accusation ? » C’est ainsi que tu te parles à toi-même et c’est pourquoi tu préfères sourire, ô mon âme, sourire que de répandre ta peine —
— répandre en des flots de larmes toute la peine que te cause ta plénitude et toute l’anxiété de la vigne qui la fait soupirer après le vigneron et la serpe du vigneron !
Mais si tu ne veux pas pleurer, pleurer jusqu’à l’épuisement ta mélancolie de pourpre, il faudra que tu chantes, ô mon âme ! — Vois-tu, je souris moi-même, moi qui t’ai prédit cela :
— chanter d’une voix mugissante, jusqu’à ce que toutes les mers deviennent silencieuses, pour ton grand désir, —
— jusqu’à ce que, sur les mers silencieuses et ardentes, plane la barque, la merveille dorée, dont l’or s’entoure du sautillement de toutes les choses bonnes, malignes et singulières : —
— et de beaucoup d’animaux, grands et petits, et de tout ce qui a des jambes légères et singulières, pour pouvoir courir sur des sentiers de violettes, —
— vers la merveille dorée, vers la barque volontaire et vers son maître : mais c’est lui qui est le vigneron qui attend avec sa serpe de diamant, —
— ton grand libérateur, ô mon âme, l’ineffable — — pour qui seuls les chants de l’avenir sauront trouver des noms ! Et, en vérité, déjà ton haleine a le parfum des chants de l’avenir, —
— déjà tu brûles et tu rêves, déjà ta soif boit à tous les puits consolateurs aux échos graves, déjà ta mélancolie se repose dans la béatitude des chants de l’avenir ! — —
Ô mon âme, je t’ai tout donné, et même ce qui était mon dernier bien, et toutes mes mains se sont dépouillées pour toi : — que je t’aie dit de chanter, voici, ce fut mon dernier don !
Que je t’aie dit de chanter, parle donc, parle : qui de nous deux maintenant doit dire — merci ? — Mieux encore : chante pour moi, chante mon âme ! Et laisse-moi te remercier ! —

Ainsi parlait Zarathoustra.
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Un livre pour tous et pour personne, Traduit de l'allemand par Henri Albert : + :


Syrie - 2013

lundi 10 juin 2013

Cela ne me regarde pas :


Xavier Miserachs - Verges - Costa Brava Show - 1964

 
1. Des choses les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous. Ce qui dépend de nous, ce sont nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions, en un mot tout ce qui est opération de notre âme ; ce qui ne dépend pas de nous, c’est le corps, la fortune, les témoignages de considération, les charges publiques, en un mot tout ce qui n’est pas opération de notre âme.
2. Ce qui dépend de nous est, de sa nature, libre, sans empêchement, sans contrariété ; ce qui ne dépend pas de nous est inconsistant, esclave, sujet à empêchement, étranger.
3. Souviens-toi donc que si tu regardes comme libre ce qui de sa nature est esclave, et comme étant à toi ce qui est à autrui, tu seras contrarié, tu seras dans le deuil, tu seras troublé, tu t’en prendras et aux dieux et aux hommes ; mais si tu ne regardes comme étant à toi que ce qui est à toi, et si tu regardes comme étant à autrui ce qui, en effet, est à autrui, personne ne te contraindra jamais, personne ne t’empéchera, tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras absolument rien contre ton gré, personne ne te nuira ; tu n’auras pas d’ennemi, car tu ne souffriras rien de nuisible.
4. Aspirant à de si grands biens, songe qu’il ne faut pas te porter mollement à les rechercher, qu’il faut renoncer entièrement à certaines choses et en ajourner d’autres quant à présent. Mais si outre ces biens tu veux encore le pouvoir et la richesse, peut-être n’obtiendras-tu même pas ces avantages parce que tu aspires en même temps aux autres biens, et, en tout cas, ce qu’il y a de certain, c’est que tu manqueras les biens qui peuvent seuls nous procurer la liberté et le bonheur.
5. Ainsi, à toute idée rude, exerce-toi à dire aussitôt : « Tu es une idée, et tu n’es pas tout à fait ce que tu représentes. » Puis examine-la, applique les règles que tu sais, et d’abord et avant toutes les autres celle qui fait reconnaître si quelque chose dépend ou ne dépend pas de nous ; et si l’idée est relative à quelque chose qui ne dépende pas de nous, sois prêt a dire : « Cela ne me regarde pas. »
Arrien, Manuel d’Épictète, traduit du grec par Jean-François Thurot, : + :


Mindaugas Gabrenas - Madrid - 2008


lundi 3 juin 2013

La vérité en son retrait toujours renouvelé :


Clement Celma - Sagrada familia                                                                                                                                     : + :


... Dans la forêt, il y a des chemins qui, le plus souvent encombrés de broussailles, s'arrêtent soudain dans le non frayé.
On les appelle Holzwege.
Chacun suit son propre chemin, mais dans la même forêt. Souvent, il semble que l'un ressemble à l'autre. Mais ce n'est qu'une apparence.
Bûcherons et forestiers s'y connaissent en chemins. Ils savent ce que veut dire : être sur un Holzweg, sur un chemin qui ne mène nulle part.

***

Note préliminaire

Le titre du présent recueil est Holzwege.

Le titre est très ambigu. Si, en effet, le sens premier de Holzweg est bien celui de "chemin" (Weg) s'enfonçant en "forêt" (Holz) afin d'en ramener le "bois coupé" (Holz) - le sens premier étant donc : "chemin du bois", sens encore en usage de nos jours chez les bûcherons, forestiers, chasseurs et braconniers -, un autre sens n'a pas tardé, dès le XVe siècle, à éclipser le premier. C'est celui de "faux chemin", "sentier qui se perd". Dans l'usage courant, c'est celui qui a prévalu, ne se rencontrant toutefois que dans la seul locution : auf dem Holzweg sein (mot à mot : "être sur le chemin "du ailleurs, qui ne mène "nulle part"") - locution signifiant : "faire fausse route", "s'être fourvoyé", "ne pas y être", et cela surtout au sens figuré. Ainsi dira-t-on : da sind Sie auf dem Holzweg pour signifier : "là vous n'y êtes pas, la vous faite fausse route".

Lisant, au pluriel, et hors de l'expression stéréotypée, le mot Holzwege, le lecteur allemand est donc dès le départ dépaysé, mais non pas nécessairement choqué. Il a encore, face à ce titre, avec la façon de parler familière dans l'oreille, une vague consonance de "chemins en forêt profonde", de "sentiers plus ou moins inconnus"

Cette impression se confirme à la lecture de l'exergue, où Heidegger fait très subtilement jouer les nuances : "Bûcherons et forestiers s'y connaissent en chemins. Ils savent ce que c'est "auf einem Holzweg zu sein" - que d'être sur un Holzweg, et non pas "auf dem Holzweg", comme dit toujours la locution. Heidegger, par le seul emploi de l'article indéfini, fait disparaître d'un coup toute familiarité de la locution, ce qui ravive aussitôt dans le mot Holzweg la présence du Holz, c'est-à-dire de la forêt profonde, présence entièrement perdue dans la première phrase de l'exergue, non traduite : Holz lautet ein alter Name für Wald, "bois est un vieux nom pour forêt" - tout en sauvegardant par la même en toute sa force l'autre sens de "chemin perdu", à savoir "peu sûr", toujours exposé à un péril d'errance et de fausse route : car la forêt où sillonnent de tels chemins n'est autre que la forêt, le Holz, la Hylè, la sylve de l'être, c'est-à-dire de la vérité en son retrait toujours renouvelé.

Martin Heidegger, traduit de l'Allemand par Wolfgang Brokmeier, Chemins qui ne mènent nulle part, 1962

via : + :


Diana Lange - Ellipses & Connections                                                                                                                           : + :


dimanche 2 juin 2013

Un éclat particulier :

 

Les accidents mêmes qui s’ajoutent aux productions naturelles ont quelque chose de gracieux et de séduisant.
Le pain, par exemple, en cuisant par endroits se fendille et ces fentes ainsi formées et qui se produisent en quelque façon à l’encontre de l’art du boulanger, ont un certain agrément et excitent particulièrement l’appétit. De même, les figues, lorsqu’elles sont tout à fait mûres, s’entrouvrent ; et dans les olives qui tombent des arbres, le fruit qui va pourrir prend un éclat particulier.
Et les épis qui penchent vers la terre, la peau du front du lion, l’écume qui s’échappe de la gueule des sangliers, et beaucoup d’autres choses, si on les envisage isolément, sont loin d’être belles, et pourtant, par le fait qu’elles accompagnent les œuvres de la nature, elles contribuent à les embellir et deviennent attrayantes.
Aussi, un homme qui aurait le sentiment et l’intelligence profonde de ce qui se passe dans le Tout, ne trouverait pour ainsi dire presque rien, même en ce qui arrive par voie de conséquence, qui ne comporte un certain charme particulier. Cet homme ne prendra pas moins de plaisir à voir dans leur réalité les gueules béantes des fauves qu'à considérer toutes les imitations qu'en présentent les peintres et les sculpteurs. Même chez une vieille femme et chez un vieillard, il pourra, avec ses yeux de philosophe, apercevoir une certaine vigueur, une beauté tempestive, tout comme aussi, chez les enfants, le charme attirant de l'amour. De pareilles joies fréquemment se rencontrent, mais elles n'entraînent pas l'assentiment de tous, si ce n'est de celui qui s'est véritablement familiarisé avec la nature et ses productions.
Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre III, II