dimanche 20 septembre 2015

Avec une sorte d'émerveillement :


Cameron Bloom - Peinguin the mag pie                                                                                                                                 : + :



Franck regardait toujours Gros-Cul, avec une sorte d'émerveillement. Puis il a dit tu sais que ce con n'a jamais tiré un coup de fusil de toute la guerre. C'est un type du village qui m'a dit qu'il avait simplement été envoyé en allemagne pour réparer des brouettes, ou un truc approchant. Mais ça fait quand même quarante ans qu'il raconte à tout le monde une histoire, pleine de cris et de fureur, comme si là-bas il avait entrevu une réalité différente, au-delà des pays, au-delà des hommes, au-delà même de ce qui peut être enfermé par les mots.
La Buse s'est approché pour regarder Gros-Cul lui aussi. La lumière vacillait toujours, posée sur la cheminée, mais son éclat commençait à se perdre. Puis Franck a encore dit ouais, c'est bien toute une foutue époque qui est en train de finir, et on ne sait pas si ce qui viendra après vaudra seulement la peine qu'on s'y intéresse. Il a tiré une cigarette de son paquet et l'a allumé aussi contre la lampe. Et la lumière baissait, lentement, tandis qu'il restaient tous les deux immobiles, en silence.
Puis au bout d'un moment, Gros-Cul s'est tourné un peu sur le fauteuil et sa tête a roulé sur le coté. Franck a regardé longtemps ce corps épais, comme une chose endommagée. Et Gros-Cul a fini aussi par laisser jaillir les mots qui peuplaient son sommeil, des mots comme des images arrêtées et froides, dieses Zimmer, der Frühling füllt sich mit dir 1. Et La Buse et Franck se tenaient maintenant comme des hommes, les pouces enfoncés fermement dans leurs ceintures, es bleibt uns die Srasse von gestern 2, des hommes encore étonnés de tenir sur leurs pieds, dass wir nicht sehr verlässlich zu Haus sind 3, dans la lumière haletante, in der gedeuteten Welt 4, sous le ciel noir déjà rempli d'étoiles.

extraits des Elégies de Duino de R. M. Rilke
1 - Cette pièce, le printemps s'emplit de toi.
2 - Il nous reste la route d'hier.
3 - Que nous ne sommes pas si confiant que cela sous nos toits.
4 -  Dans l'univers expliqué

Elie Treese, Les anges à part, 2014
: + :




 

mardi 1 septembre 2015

Le parfait équilibre :



Louise Bourgeois - Fragile Goddess - 2002


 
Le non-retour égale le point Zéro.
Il est le parfait équilibre pour le point d’ancrage.
Celui qui sécrète sera toujours récupéré.
Pas de transparence mais de la visibilité
ou bien l’invisible pour le mystère.
Je ne sais pas ce que trouvent les gens qui me connaissent
mais certains pour me connaître, reconnaissent mes mains,
ils sont donc dans la reconnaissance,
ils ont donc perdu le tout, parce que le sur-tout.
Chacun sa croix de toutou du tout au tout.
Je suis en laisse avec la surprise.
J’ai vu beaucoup d’amour se dessiner autour de moi.
Je ne suis pas prise dans l’amour,
je suis avec
je le sème
et qui se soigne à sec,
sème
l’essentiel oublié.
(...)



Louise Bourgeois - Nature Study - 1984/2002


 
Elle est partie dans sa lande lucide et construite dompter les flammes.
Des animaux dorés surgissent, lointains, de ces buissons de feu.
Ce sont des animaux anonymes, qui ont dépassé les frontières et les prières.
Un sensible rendez-vous de mélange de sexe.
Ces gestes y inscrivent l’écriture et
la continuité de l’enfant Pouce.
Sa furieuse faiblesse dans les cheveux fertiles et malpolis.
Les drames en paillettes dans les rayures de ses ongles.
L’enfant Pouce coupe et se déchaine dans son cortège d’anonymes animaux,
l’insolence du clair-obscur en robe épistolaire,
vois-là
l’enfant filant les fines cartes de consolation.
Lande lucide et construite.

Douce Mirabaud, Printemps critique, 2015
: + :

 
Louise Bourgeois - sans titre - 1970