jeudi 23 avril 2015

Cette union magique :






Nous avons fait l'amour. Comme ce mot à l'air banal - trivial, usé, tout trait distinctif quasiment effacé par l'usage - mais comment mieux décrire une telle action en acte ? Cette création ? Cette union magique ? Je pourrais dire que nous sommes devenus deux silhouettes prises dans une danse hypnotique sous le talisman chaloupé de la lune, d'abord lente, si lente ... deux plumes appariées flottant dans la substance claire d'un ciel liquide ... puis qui accélèrent de plus en plus, pour finalement n'être que photons de lumière pure.
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Ou bien je pourrais dresser la liste des impressions, des images encore brillantes, illuminées à jamais par la cambrure blanche de ces premières caresses, le premier regard après qu'ayant écarté la chemise de laine, j'ai vu qu'elle ne portait pas de soutien-gorge; la timidité de ses hanches se soulevant imperceptiblement lorsque j'ai fait glisser la rude toile de jean; la souple pulsation de la ligne qui, passant entre ses seins, courait de la pointe de son menton relevé jusqu'à sons ventre éclairé par ce pinceau de lumière émanant de sa chambre...
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Mais il me semble que la meilleure façon pour moi de communiquer la beauté de ces moments consiste à répéter, tout simplement, que nous avons fait l'amour. Et consommé ainsi tout un mois de regard furtifs, de sourires prudents, de frôlements accidentels de nos corps trop flagrants ou trop secret pour n'être que des accidents, de toutes les autres petites vignettes incomplètes du désir... et peut-être par dessus tout, consommé la connaissance partagée de ce désir, et de ce désir retrouvé, et du progrès irrépressible de ce désir... dans une déflagration interne parfaitement silencieuse tandis que tout mon corps tendu explosait à l'intérieur du sien comme un fluide électrique. Partage, consommation, aboutissement; côte à côte dans un sprint joyeux remontant le long de la pente abrupte jusqu'au rebord du sommet, pour nous ruer dans le vide... planer en apesanteur... nous élancer immobiles à travers les espaces cosmiques d'une enveloppe charnelle; redescendre en douceur pour revenir peu à peu... au tic tac de la réalité plébiscitée par la majorité, au timide couinement du matelas, à ÉCOUTE l'aboiement d'un chien dehors sous l’œil voyeur de la lune...et au ÉCOUTER QUOI ? souvenir pressant d'un étrange bruit de pas humides que j'avais cru entendre FAIS GAFFE quelque part, proche à faire peur, juste des siècles ,des heures, ou quelques secondes auparavant !

Ken Kesey, Et quelques fois j'ai comme une grande idée, 1964