mercredi 31 octobre 2012

Sans l'exemple des autres hommes :


Giotto - Crucifixion -1303-1306 - Église de l'Arena à Padoue - +.                                                              















Précisons. Tout ce que font les membres d'une société n'est pas sociologique. Beaucoup de leurs actes, j'allais dire la plupart, sont purement physiologiques, ou même purement psychologiques. Respirer, digérer, faire battre ses paupières, remuer les jambes machinalement, regarder distraitement un paysage ou pousser un cri inarticulé, ce sont là des actes qui n'ont rien de social, sauf le cas où ils sont l'effet d'une habitude contractée dans le commerce des autres hommes et née d'une volonté ou d'une croyance qu'ils nous ont communiquée. Mais parler à quelqu'un, prier une idole, tisser un vêtement, scier un arbre, donner un coup de couteau à un ennemi, sculpter une pierre, ce sont là des actes sociaux, car il n'y a que l'homme en société qui agisse de la sorte, et sans l'exemple des autres hommes qu'il a copiés volontairement ou involontairement depuis le berceau, il n'agirait pas ainsi. Le caractère commun des actes sociaux, en effet, c'est d'être imitatifs. Eux seuls ont ce caractère ; et, quand un acte qui d'ordinaire est purement vital ou mental devient par exception social, c'est en tant qu'il a reçu une empreinte spéciale par la vertu de l'imitation. Marcher au pas gymnastique dans un régiment, respirer comme il convient à un chanteur qui a de la méthode, manger avec une fourchette, etc..., sont vraiment, pour la raison indiquée, des actes sociaux. Il n'y a que l'homme en société qui marche, qui respire, qui mange ainsi. Quant aux actes qui consistent en une initiative nouvelle, en une découverte ou une invention grande ou petite, ils ne sortent de la sphère individuelle, ils n'entrent dans le monde social qu'au fur et à mesure qu'ils se propagent par l'exemple et tombent peu à peu dans le domaine commun.
Études de psychologie sociale, Gabriel Tarde, 1898, +, +.


mardi 30 octobre 2012

Deux dièses à la clé :


Heimkehr im Abendrot - 1844 - Ignaz Raffalt (1800–1857) - +



Sonate pour piano n° 3 en si mineur op. 58 de Frédéric Chopin de 1844.




Nouvel Hermitage - 1853 - Eduard Hau (1807–1888) - +



Sonate pour piano en si mineur de Franz Liszt, composée entre 1852 et 1853, dédiée à Robert Schumann.


. + .
reblog  : + .

lundi 29 octobre 2012

C’était… tellement simple :

Michèle Morgan et Jean Gabin dans Remorques de Jean Grémillon - 1941


LUI : Ca ne vous ennuie pas de vous balader comme ça avec un homme qui ne dit rien ?

ELLE : Non. Et puis quand on se tait, c’est qu’on a beaucoup de choses à se dire. On essaie de penser à ce que l’autre pense. C’est agréable.

LUI : C’est ce que vous faites en ce moment ?

ELLE : Non. Non, je ne pense à rien. Je suis très bien. Je suis très heureuse que vous m’ayez emmenée avec vous. C’est tout.

LUI : Eh bien vous n’êtes pas très difficile ! Une petite promenade comme ça sur la plage et puis vous v’là heureuse, comme les enfants.

ELLE : Ah, je voudrais bien être encore comme les enfants ! Quand j’étais petite c’était… tellement simple. J’étais heureuse : je riais. J’étais malheureuse : je pleurais. Et maintenant…

LUI : Quoi maintenant ?

ELLE : Oh, maintenant, c’est plus pareil. Je suis heureuse - malheureuse. Tout est mélangé. On s’y retrouve plus. Tiens, une étoile de mer !

LUI : Elle a du tomber cette nuit. Comment vous appelez vous?

ELLE : Et vous ?

LUI : Moi? André.

ELLE : Moi, je m’appelle Catherine. C’est mon nom de bapteme. Mon vrai nom. Ils m’ont tous appelé comme ça. Mon père. Ma mère. Toute la famille. « Catherine, ne met pas tes coudes sur la table !", "Catherine dis bonjour ! ". "Catherine, dis merci !", "Merci", dit Catherine. Oh ! ça m'sifflait dans les oreilles ! Mais moi, en moi-même, je riais et je m'disais « tu n't’appelles pas Catherine, c’est eux qui t’appelle comme ça ». Alors je m'suis trouvé un nom, un autre.

LUI : Pour vous toute seule ?

ELLE : Oui, et puis j'pensais : "un jour, tu aimeras un garçon qui t’aimera et que tu aimeras et tu lui diras ton vrai nom".

LUI : Et vous l’avez trouvé ce garçon ?

ELLE : Non, j’ai connu des hommes : un qui est mort et puis mon mari…

LUI : Et alors ?

ELLE : Alors ? Alors ils ont fait comme les autres : ils m’ont appelé Catherine.

LUI : Ah ? Bah, je vais chercher une clef pour visiter.

ELLE : Où est la maison ?

LUI : La-haut. Toute seule.

ELLE : Quelle drôle d’idée de visiter des maisons...




LUI : Vous v'nez avec moi  ? 
ELLE : Oui.


(…)

ELLE : Il fait noir ici.

LUI : Je vais ouvrir les volets.

ELLE : Comme c’est désert !

LUI : Ah oui ! C’est une belle pièce ici, hein, c’est grand.

ELLE : Vous savez, ça me rappelle un film que j’ai vu il y a très longtemps. Un film d’épouvante avec des fantômes. Ca faisait rire tout le monde, mais moi j’étais très impressionnée. Il y avait de grands fauteuils comme cela avec des housses. C’est pour ça que je pense au film. La jeune fille s’est assise dans un de ces fauteuils et a poussé un cri et elle a disparu.

LUI : Et on l’a pas retrouvée ?

ELLE : Qui ça ?

LUI : La jeune fille.

ELLE : Ah je n'sais pas. Peut-être que si je m’asseyais, j'disparaîtrais moi aussi.

LUI : Eh là ! eh .. pas de blague ! hein.

ELLE : Une femme comme moi, c’est fait pour disparaître.

LUI : Pourquoi ?

ELLE : Parce que c’est comme ça. On arrive en canot... on s’en va en canot. Il y a longtemps que vous êtes mariés ?

LUI : Ah, je vous en prie ! j’ai horreur de ce genre de questions !

ELLE : Ah la bonne heure ! Voilà ce qui s’appelle répondre ! Vous faites des progrès. Qu’est-ce que vous regardez ?

LUI : La porte. Les portes par ici c’est toujours mal foutu alors avec le vent qui doit s’engouffrer… vous vous rendez compte…

ELLE : Vous pensez à tout…

LUI : Il faut bien…
ELLE : bien sur... Où allez-vous ?
ELLE : Ben je suis curieuse vous savez…
(…)

LUI : Catherine ?

ELLE : Pourquoi m’avez vous appelez ?

LUI : Je vous ai fait peur ?

ELLE : Non, mais ça m’a fait un drôle d’effet parce que mon mari m’appelait souvent comme ça. Il m’appelait et je v'nais, comme un chien. Pourtant, j'l’aimais pas et souvent y m'mentais mais je v'nais et il m'caressait. Je m'laissais caresse.






LUI : Ca vous manque, hein ?

ELLE : Ah, quelle brute vous faites ! … Oh et puis après tout... p'têt' que.., tous les hommes sont des brutes !

LUI : Vous m’en voulez ?

ELLE : Oh, non… C’est jolie une grande chambre toute blanche avec des grandes fenêtres sur la mer, hein ?

LUI : Taisez vous !

ELLE : Pourquoi ?

LUI : Parce que.

ELLE : Qu’est-ce que vous avez ?

LUI : Rien.

ELLE : Vous pouvez pas dire ce que vous pensez ? C’est facile pourtant. Moi, je peux dire tout ce que je pense. Tout vous entendez !

LUI : J’vous demande rien, moi. Et puis j’en ai assez après tout. Ecoutez, c'est vrai ça. Qu’est-ce que je fais moi, ici, avec vous ? Enfin, c’est une rigolade ! Regardez moi, bien. Est-ce que j’ai l’air d’un homme qui court après les femmes ?

ELLE : Non.

LUI : Ben alors. Ca doit vous amuser un homme qui sait pas c'qu'il dit, qui bafouille, parce que je me rends compte que je sais pas ce que je dis. Mais en tout cas, je vous préviens, avec moi, vous perdez votre temps. Je joue pas à ce petit jeu moi. Je suis un homme simple moi.

ELLE : Non. Ceux qui sont simples ne font pas tant de bruits pour cacher ce qu’ils pensent. Ils n’ont pas honte de leurs désirs, d'leurs plaisirs. Vous n’êtes pas simple. Vous êtes comme tous les autres. Comme les hommes, vous êtes plein de scrupules, de délicatesse et vous n’arrêtez pas de réfléchir... mais et en ce moment vous pensez des choses que personne ne saura jamais et même si vous vouliez parler, si vous vouliez être sincère, vous pourriez pas, vous parleriez tout de travers, sans vouloir, pour tout cacher.

LUI : Pourquoi vous dites ça ? Pourquoi vous vous intéressez comme ça à moi ? Qu’est ce que vous attendez de moi ? Parlez ! Parlez puisque vous dites tout ce que vous pensez ! Alors ? Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Qu’est ce vous voulez ?

ELLE : Et vous, qu’est ce que vous voulez ?

LUI : Vous…
Ecoutez…

ELLE : Chut ! Taisez vous.
Embrassez moi.
Embrassez moi.
Dialogues de jacques Prévert extrait du film Remorques, de Jean Grémillon, 1941, +.



samedi 27 octobre 2012

La tortue et le mouton de marbre :


: + ; + :


: + ; + :

Marble Sheep & The Run-Down Sun's Children* ‎– Marble Sheep & The Run-Down Sun's Children  - 1990 - Japon
Artwork – Mafuyu Hiroki*
Bass, Tambourine, Kalimba, Percussion – Motoshi Chikuwa*
Drums, Congas – Shigeru Konno, Yasuyuki Watanabe
Electric Guitar, Acoustic Guitar, Percussion, Vocals – Ken Matsutani
Engineer – Takemoto
Guitar, Percussion – Takehito Haga
Lighting – Takanari Kanno
Other [Mind Advisor] – Tahara
Other [Sound Advisor] – Kokubo





: + ; + :

Tortoise ‎– Millions Now Living Will Never Die- 1996 - US

Layout [Assistance], Cgi Artist [Computer Magic] – Dan Osborn
Mastered By – Roger Seibel
Performer [Tortoise Is] – Dan Bitney, David Pajo, Douglas McCombs, John Herndon, John McEntire
Recorded By, Mixed By – John McEntire
Written-by, Performer, Design [Sleeve] – Tortoise




François Xavier Lalanne

vendredi 26 octobre 2012

Vaine tâche :


Tous ceux qui sont nés aux temps sourds
À demi étranglés, maladifs,
Ils ont ouvert eux-mêmes leur gorge pour pouvoir chanter,
Ils ont lavé leurs yeux dans les ondes célestes…
Elena Schwarz, Bourliouk, 1974







TRAITÉ DE LA FOLIE DE DIEU

Dieu n'est pas mort, il est seulement fou.
Cela, Nietzsche le sait, et Sirius aussi, et la Kolyma.
Cela peut se dire en sanscrit, en jouant des crécelles,
Dans un sifflet de train, en relevant l'ourlet d'une robe
(Mais au Ciel, on l'ignore encore).
Le six-milliardième nouveau-né pourrait vous le piailler,
Mais il n'osera pas, peur d'être renvoyé.
Mais nos nuits, qui les tient ? Nos jours, qui les étire ?
De nos planètes et comètes qui allume les feux ?
Sont-ce les anges, eux tout seuls ?
En voici un qui veille et qui, en bon comptable,
Dénombre les trillions d'atomes. Vaine tâche.
Et cet autre qui saisit un oiseau à pleins bras
Et qui gambade et rit et s'esbaudit, étrange…
Les anges aussi, alors ?
Le virus de folie est là sous la peau, dans le soleil et dans le cœur.
Si toute créature est folle, où s'ira réfugier le Créateur ?
La tête du monde a explosé.
Il fait froid dans l'Eden. Des trognes y parlent,
Et se nourrissent d'ivraie.
Il ne reste d'espoir qu'en la bonté de ceux
Qui dans la graine d'arachide encloront même la folie sacrée.

Elena Schwarz, La Vierge chevauchant Venise et moi sur son épaule, 1999, traduit du russe par Hélène Henry, +.





(...)
Là ou l'âme et la mer s'amalgament,
Où la vague avale le coeur,
J'entends souvent comme sortant des algues
Des sortes de voix qui font peur.

Des appels, il me semble ; on soupire.
Cette voix, je l'ai connue enfant.
Je me penche et je vois un abîme,
des grumeaux d'âmes tournoyants.
(...)
Elena Schwarz, La bête-fleur, +.

jeudi 25 octobre 2012

Au point de devenir :


Michael Sowa - +,





Papa

Les choses ont toujours été simples pour moi :
Affalé dans son large fauteuil cassé
Recouvert de cendres,
Papa change de chaîne, reprend
Un verre de whisky, pur, et demande
Ce qu’on peut faire de moi, un petit homme
Qui n’arrive pas à considérer
Les heurs et les malheurs du monde.
Je regarde son visage fixement, d’un regard
Qui fait dévier ses sourcils ;
J’en suis sûr, il n’a pas confiance
En ses yeux, noirs et humides, qui
Partent dans toutes les directions,
Et surtout ses tics, lents et malvenus,
Ne cessent pas.
J’écoute, j’acquiesce
Écoute, avec sincérité, jusqu’à ce que je m’accroche à son T-shirt
Beige pâle, hurlant,
Hurlant dans ses oreilles aux lourds lobes, mais il continue à raconter
Sa blague, alors je demande pourquoi
Il est si malheureux : il répond…
Mais ça ne m’intéresse plus parce qu’
Il a pris trop de temps et de dessous
Mon fauteuil, je tire le
Miroir que j’avais mis de côté ; je ris
D’un rire fort, le sang frémissant depuis son visage
Vers le mien, au point de devenir
Une tâche dans mon cerveau, quelque chose
Qu’on pourrait écraser comme un
Pépin de pastèque entre
Deux doigts.
Papa se reprend un verre, pur,
Remarque qu’il a sur son short la même tache ambrée
que moi j’ai sur le mien et
Me fait sentir son odeur venant
De moi ; il change de chaîne, récite un vieux poème
Qu’il avait écrit avant la mort de sa mère,
Se lève, pousse un cri, et demande
Un câlin, tandis que je rétrécis, mes
Bras atteignent à peine
Sa nuque, épaisse et grasse, et son dos imposant ; parce que
Je vois mon visage, dans les lunettes
Cerclées de noir de Papa
Et je sais qu’il rit aussi.

Barack Obama, publié en 1982, traductions inédites Nicolas Grenier et David Rochefort










"Pop"
Sitting in his seat, a seat broad and broken
In,sprinkled with ashes,
Pop switches channels, takes another
Shot of Seagrams, neat, and asks
What to do with me, a green young man
Who fails to consider the
Flim and flam of the world, since
Things have been easy for me;
I stare hard at his face, a stare
That deflects off his brow;
I’m sure he’s unaware of his
Dark, watery eyes, that
Glance in different directions,
And his slow, unwelcome twitches,
Fail to pass.
I listen, nod,
Listen, open, till I cling to his pale,
Beige T-shirt, yelling,
Yelling in his ears, that hang
With heavy lobes, but he’s still telling
His joke, so I ask why
He’s so unhappy, to which he replies...
But I don’t care anymore, cause
He took too damn long, and from
Under my seat, I pull out the
Mirror I’ve been saving; I’m laughing,
Laughing loud, the blood rushing from his face
To mine, as he grows small,
A spot in my brain, something
That may be squeezed out, like a
Watermelon seed between
Two fingers.
Pop takes another shot, neat,
Points out the same amber
Stain on his shorts that I’ve got on mine, and
Makes me smell his smell, coming
From me; he switches channels, recites an old poem
He wrote before his mother died,
Stands, shouts, and asks
For a hug, as I shink, my
Arms barely reaching around
His thick, oily neck, and his broad back; ‘cause
I see my face, framed within
Pop’s black-framed glasses
And know he’s laughing too.
Barack Obama







mardi 23 octobre 2012

C’est là qu’il faut arriver :


Il faut arriver au cœur du son, le son a un cœur, étant sphérique, il a un centre, c’est le centre du cœur. C’est là qu’il faut arriver...
Giacinto Scelsi, 1987


Explosion de la peur - Paul Klee - 1939 - +, +, +,



Scelsi, Suite pour piano n°9, Ttai, 1953





Giacinto Scelsi, sonate pour piano n°3, 1939







lundi 22 octobre 2012

Avide de tout voir :


    Vent de sable au Mali, © Organisation internationale de la Francophonie


Maître, où allez-vous ? demanda Bourrasque.
A la Grande Vallée, dit Epaisseur obscure.
Pourquoi ?
La Grande Vallée est le lieu où l'on verse sans jamais remplir
et où l'on puise sans jamais épuiser.
Chuang-Tzu


La Grande Vallée, Lionel Marchetti
Musique concrète réalisée en 1993/1996.
Commande du Groupe de Recherches Musicales de l'INA, réalisée dans ses studios.
Voix : Hélène Bettencourt, Frédéric Malenfer, Bruno Roche, Clarinette basse : Jean Andréo.
Disque édité dans la collection Cinéma pour l'oreille, réf. MKCD025 1998, Metamkine.
+, +, +, +,




Tu considéreras le microphone comme un oeil unique
dans ta main
avide de tout voir

Mobile ou immobile
à bout de bras
le microphone capte les sons du monde

Mobile ou immobile
le microphone
si tu l'utilise habilement
taille dans le monde qui t'entoure des morceaux de temps
va chercher - tu es son guide -
des morceaux de réel dans l'espace sonore qui t'entoure
dans ton quotidien devenu en entier champ musical
d'où tu tirera un langage :

le langage de tous les sons du monde
(...)
Enregistrer un son, un complexe de son
par l'intermédiaire de ce que nous pouvons dors et déjà appeler
un tournage sonore
l'insérer dans une composition de musique concrète
est un acte qui ne trouvera son sens, selon moi
que lorsque l'objet sonore déploiera, pour l'audition
un foyer sensible et ouvert
lorsqu'il engagera celui qui l'écoute dans un monde
- sa poétique -
afin qu'en retour
lui-même réalise son propre monde autrement
guidé dans la liberté de sa propre interprétation.

Lionel marchetti, enregister un son, 2004, 
+,


Gilbert garcin - sauver la nature - 2010 - +,

mardi 16 octobre 2012

Faust'o :


Bass – R. Fioravanti
Piano, Guitar, Tapes, Groovebox [Rhythm Machine] – Faust'o
Producer – Guido Carota
Saxophone – A. Bianchi
 1982, +







dimanche 14 octobre 2012

Le jouet involontaire :

Droits réservés - © 2007 J.D. Griggs / USGS Photographie prise le 7 janvier 1983 sur les flancs du Pu'u O'o, Hawaii - +géo
Explication de formation de telles structures +





Maintenant supposez qu’un philanthrope de génie vous convie à la tâche sublime d’assainir et d’embellir le monde. Il vous dira que tout sur terre dépend de l’intelligence, de la volonté et du travail des hommes. Il vous dira que si, dans son juste courroux, Dieu s’est détourné de l’humanité, celle-ci trouvera son appui en sa propre intelligence vraiment incommensurable. Il vous dira que les brouillards, les maladies, les climats, les vents, les éruptions de volcans, tous ces phénomènes sont soumis à l’influence et au contrôle de la volonté humaine. Il vous dira enfin que le globe terrestre peut être converti en un véritable paradis et son existence prolongée de quelques centaines de milliers d’années. Que répondriez-vous à cet homme ?
— Et si celui qui m’offre de vivre ce rêve enchanteur se trompe ? Si je deviens le jouet involontaire d’un monomane, d’un maniaque, d’un dément ? Mister Nidston se leva, et me tendant la main en signe d’adieu, proféra solennellement :
— Non. À bord du vapeur, dans deux ou trois mois (si, bien entendu, nous tombons d’accord), je vous révélerai le nom de ce savant et le but qu’il poursuit, et vous vous découvrirez en signe de profond respect pour l’homme et l’idée. Mais personnellement, je suis malheureusement un profane, mister Dibbl. Je ne suis qu’un homme d’affaires — dépositaire et représentant des intérêts d’autrui.

Alexandre Kouprine, Le Soleil liquide, Traduit du russe par Henri Mongault, 1913, +
 














vendredi 12 octobre 2012

Besoin des œufs :











Sur ces entrefaites, il s'est fait tard et nous avons tous deux nos occupations. Mais ça a été formidable de revoir Annie, je me suis rendu compte que c'était une fille sensationnelle et comme cela avait été agréable de la connaître, et je me suis souvenu de cette vielle blague. Vous savez, l'histoire du gars qui va trouver un psychiatre et lui dit: "Docteur...euh...mon frère est fou. Il se prend pour une poule." Et alors, le docteur répond: " Eh bien, faites-le enfermer. " Et le frère répond : " Je le ferais bien, mais j'ai besoin des œufs.
Eh bien, je crois que c'est à peu près comme ça que j'ai tendance à voir les relations entre les gens. Vous savez, complètement irrationnelles, folles et absurdes et...mais... euh... je crois qu'on fait avec, parce que...euh...la plupart d'entre nous... ont besoin des œufs.
Woody Allen et Marshall Brickman, Annie Hall






+ + +

jeudi 11 octobre 2012

Le regard que nous portons sur le monde :


written by Gardner Fox - drawn by Murphy Anderson -
1961 - +

Le processus de valorisation de la marchandise, qui repose sur la production de la plus-value, ne peut être maintenu et accentué que par la mise au labeur d’une partie croissante de la force de travail disponible ou par la multiplication des objets produits. La plus-value demande à être indéfiniment accrue, pour que l’accumulation, simplement, ne s’interrompe pas et que le capitalisme ne s’effondre pas. Nous percevons là, au moins intuitivement, en quoi sont résolument vains les discours sur la croissance et la décroissance et, encore plus, ceux sur la régulation de l’économie capitaliste. Le Capital ne peut que croître et vouloir croître. Il doit croître ou mourir.
La valeur des marchandises ainsi produites contient donc une part déterminée, qui représente l’investissement matériel (les matières premières, les moyens de production, etc.) et une part mouvante, qui valorise la valeur, l’accroît, c’est la dépense sociale de force de travail. Cependant, cette dépense de force de travail a des limites, essentiellement biologiques. Une fois que tous les hommes ont été mis au service de la production capitaliste, femmes et enfants compris, une fois que la journée de travail a atteint ses limites raisonnables, une fois que l’intensité du travail a elle aussi atteint ses limites, et que la partie productive du Capital menace de sombrer sous l’épuisement, seule la machine peut contribuer à un accroissement de la productivité et tendre vers une production illimitée de marchandises qui, quant à elles, contiennent individuellement de moins en moins de plus-value, ont de moins en moins de valeur. C’est ce que Marx a appelé la « tendance à la baisse du taux de profit », signifiant par là que le phénomène corrélatif à la démultiplication quantitative des objets marchands est la baisse constante de la plus-value qu’ils contiennent jusqu’à ne plus en représenter qu’une part infinitésimale. Ce phénomène par lequel plus il est produit de marchandises et moins chacune d’elle contient de valeur implique à son tour que le Capital en produise toujours de plus en plus. C’est la seule explication qui permette de comprendre pourquoi la technologie n’avait connu, avant, aucune expansion et aucun perfectionnement équivalents à ce que nous connaissons depuis environ deux cents ans. Le capitalisme est le règne absolu d’une productivité qui demande, qui réclame et nécessite, un constant accroissement, une constante intensification, c’est-à-dire des machines de plus en plus performantes et une consommation d’énergie toujours élargie à de nouvelles sources.
Les machines, jusqu’alors subordonnées en tant que simples objets technologiques à une technique elle-même assujettie aux impératifs des formes d’organisation qui en conditionnaient l’évolution, occupent ainsi, aujourd’hui, une tout autre position.




Il faudrait plutôt partir d’une évaluation de la puissance de calcul totale désormais en usage sur la planète et traduire cela en termes démographiques. Un tel compte ferait apparaître que la planète Terre est désormais peuplée par une puissance de calcul de centaines de milliards d’équivalent-hommes. Cette puissance de travail a largement affecté le regard que nous portons sur le monde et la façon dont nous nous le représentons. Il a modifié la vie politique, économique et culturelle des sociétés que nous qualifions encore d’“humaines“ alors même que le fonctionnement des sociétés est désormais composé majoritairement de ces équivalent-hommes dont la démographie, la sociologie et l’économie politique entrent en compétition avec l’humanité quant aux finalités que cette dernière peut se donner à elle même.
Bureau d’études, La planète laboratoire 4 octobre 2011, +




Oui, l’élimination de la magie a ici le caractère de la  magie elle-même
Wittgenstein, Remarques sur le Rameau d’or de Frazer

mardi 9 octobre 2012

Des choses qui comptent :


John Kerstholt - Rolling thunder cloud photographed in Enschede, The Netherlands- 2008


Luciano Berio, Sinfonia, Side A [11:35] [FLAC]

Luciano Berio, Sinfonia, Side B [15:24] [FLAC] 


Je ne suis pas sage du tout. Je te l’ai dit, je ne sais rien. Je connais les livres, et je peux assembler des mots - ça ne veut pas dire que je sais parler des choses qui comptent le plus pour moi.
- Mais tu le fais maintenant - d’une certaine façon.
- Oui, d’une certaine façon… c’est toujours comme ça que je dis les choses : d’une certaine façon.

André Aciman, Plus tard ou jamais, Call me by your name,
traduction de l’américain : Jean-Pierre Aoustin

pour les gournands ... +

lundi 1 octobre 2012

Comment dire autrement ?

Le travail sur enclume de la pierre au Brésil - +



Il se peut que la plupart des hommes trouvent un agrément et un réconfort à ce qu’on leur présente un monde tout fait, à l’exception de quelques minimes détails personnels ; et l’on ne saurait mettre en doute le fait que tout ce qui dure n’est pas simplement du conservatisme, mais la base même de tous les progrès et de toutes les révolutions ; il faut cependant ajouter que les hommes qui vivent pour ainsi dire de leur propre chef en ressentent un obscur et profond malaise. Tandis qu’Ulrich considérait le bâtiment sacré dans une parfaite intelligence de ses subtilités architecturales, il prit conscience, avec une vivacité surprenante, du fait que l’on pouvait tout aussi aisément dévorer des êtres humains que bâtir ou laisser debout de pareils monuments. Les maisons vides, la voûte du ciel au-dessus, partout un inexprimable accord des lignes et des volumes qui accueillaient et guidaient le regard, l’air et l’expression des gens qui passaient au-dessous, leurs livres et leur morale, les arbres de la rue… ; tout cela est parfois aussi raide qu’un paravent, aussi dur que le poinçon d’un estampeur, et (comment dire autrement ?) si complet, si achevé et si complet que l’on n’est plus à côté qu’un brouillard superflu, un vague souffle réprouvé dont Dieu ne se soucie guère. Alors, Ulrich se souhaita d’être un homme sans qualités. Mais les choses ne sont pas tellement différentes chez les autres hommes. Au fond, il en est peu qui sachent encore, dans le milieu de leur vie, comment ils ont bien pu en arriver à ce qu’ils sont, à leurs distractions, leur conception du monde, leur femme, leur caractère, leur profession et leur succès ; mais ils ont le sentiment de n’y plus pouvoir changer grand-chose. On pourrait même prétendre qu’ils ont été trompés, car on n’arrive jamais à trouver une raison suffisante pour que les choses aient tourné comme elles l’ont fait ; elles auraient aussi bien pu tourner autrement, les événements n’ont été que rarement l’émanation des hommes, la plupart du temps, ils ont dépendu de toutes sortes de circonstances, de l’humeur, de la vie et de la mort d’autres hommes, ils leur sont simplement tombés dessus à un moment donné. Dans leur jeunesse, la vie était encore devant eux comme un matin inépuisable, de toutes parts débordante de possibilités et de vide, et à midi déjà voici quelque chose devant vous qui est en droit d’être désormais votre vie, et c’est aussi surprenant que le jour où un homme est assis là tout d’un coup, avec qui l’on a correspondu pendant vingt ans sans le connaître, et qu’on s’était figuré tout différent. Mais le plus étrange est encore que la plupart des hommes ne s’en aperçoivent pas ; ils adoptent l’homme qui est venu en eux, dont la vie s’est acclimatée en eux, les événements de sa vie leur semblent désormais l’expression de leurs qualités, son destin est leur mérite ou leur malchance. Il leur est arrivé ce qui arrive aux mouches avec le papier tue-mouches : quelque chose s’est accroché à eux, ici agrippant un poil, là entravant leurs mouvements, quelque chose les a lentement emmaillotés jusqu’à ce qu’ils soient ensevelis dans une housse épaisse qui ne correspond plus que de très loin à leur forme primitive. Dès lors, ils ne pensent plus qu’obscurément à cette jeunesse où il y avait eu en eux une force de résistance : cette autre force qui tiraille et siffle, qui ne veut pas rester en place et déclenche une tempête de tentatives d’évasion sans but ; l’esprit moqueur de la jeunesse, son refus de l’ordre établi, sa disponibilité à toute espèce d’héroïsme, au sacrifice comme au crime, son ardente gravité et son inconstance, tout cela n’est que tentatives d’évasion. Celles-ci expriment simplement, en fin de compte, qu’aucune entreprise juvénile ne paraît issue d’une nécessité intérieure incontestable, quand bien même elles l’expriment de manière à laisser entendre que toutes ces entreprises étaient urgentes et indispensables. Quelqu’un, n’importe qui, invente un beau geste nouveau, intérieur ou extérieur… Comment appeler cela ? Une attitude vitale ? Une forme dans laquelle l’être intérieur se répand comme le gaz dans un ballon de verre ? Une ex-pression de l’impression ? Une technique de l’être ? Ce peut être une nouvelle coupe de moustache ou une nouvelle pensée. C’est du théâtre mais tout théâtre à un sens, et dans l’instant, comme les moineaux sur les toits quand on leur lance des miettes, les jeunes âmes se jettent là-dessus. Ce n’est pas difficile à comprendre : quand au-dehors pèsent sur la langue, les mains et les yeux un monde lourd, cette lune refroidie qu’est la terre, des maisons, des mœurs, des tableaux et des livres, et quand il n’y a rien au-dedans qu’un brouillard informe et toujours changeant , n’est-ce pas un immense bonheur que quelqu’un vous propose une expression dans laquelle on croit se reconnaître ? Quoi de plus naturel si l’homme passionné s’empare de cette forme nouvelle avant l’homme ordinaire ? Elle lui offre l’instant de l’être , de l’équilibre des tensions entre le dedans et le dehors, entre l’écrasement et l’éclatement.
Robert Musil, L'homme sans qualité, vers 1930.





Schématisation de la percussion verticale d’éclatement sur enclume (type 2) - +