lundi 15 juillet 2013

La différence des êtres :

 
Giorgio de Chirico - Le prophète - 1916


J’aime l’apparence du luxe que je crée de rien : par ma tour de passe, la matière première est belle en soi et le jeu de mes marmites (cuisson à vapeur) n’est pas inférieur à une œuvre d’art. Je traverse en vitesse mes chambres parées de tableaux, tenant dans mes mains  amandes, noix ou semences de pin. Je regarde les photos de famille, quelques-unes exposées sur les murs, j’admire avec amour la figure séraphique de ma mère ou celle intériorisée, visionnaire, du grand-père maternel. Je savoure, en extase, mon consommé de lentille avec de la maniguette, de l’huile d’olives, des légumes, de l’oignon cuite, de la saumure de chou. Je ne mange pas par envie mais seulement pour ma faim, en n’oubliant pas de dédier, de toute mon âme, cet acte de l’incorporation de la nourriture au principe suprême. Cela vous paraît comique? Je vous répondrai que l’alimentation est un acte solennel et philosophique, d’une responsabilité insoupçonnable. Méditons aux mots de Ibn Arabi: chaque fois que les habitants  des paradis jettent leur regard sur les choses qu’ils possèdent, ils voient là un nouveau objet ou une nouvelle forme, qu’ils n’ont pas vu auparavant, et ils se réjouissent de son apparition. Tout aussi, chaque fois qu’ils boivent ou goûtent quelque chose, ils découvrent une nourriture délicieuse et une boisson très bonne, comme ils n’avaient pas goûté jusqu’alors (Livre de sagesse).
Essai sur l'art du savoir, Simona-Grazia Dima, : + :




Madame Reis


Dans les rues de Giorgio de Chirico
j’ai vécu une belle histoire
d’amour : j’étais madame Reis
et, grâce à l’amour, j’avais, enfin,
l’air mystérieux, les gens étaient contents (contents  aussi de
mon amour pour monsieur Reis), je savais porter des chapeaux,
diriger le travail dans les plantations,
après être restée veuve, et, surtout,
incarner dans la réalité, d’une manière muette,
le rêve de Platon, Kant, Maître Eckart,
Rumi, Kabir, Shankara. Je passais
à travers la canicule de la ville, tout le monde me disait bonjour
et tirait le chapeau jusqu’en bas, personne
ne connaissait mes stigmates.
Et j’étais la seule à savourer leur fonte comme la neige,
la source qui se déversait dans mon abîme printanier.
Mes yeux les étonnaient,
j’étais l’une des richesses du lieu, comme les hirondelles.
Vous qui vociférez contre
la différence des êtres, la dissemblance
de l’homme et de la femme, n’oubliez pas
même un instant madame Reis !
Simona-Grazia Dima, : + :