jeudi 11 juillet 2013

N’attaquent pas la structure :

 
Robin Hammond - Condemned - 2011                                                                                                     : + :  : + :
  
(...)un constat critique à l’égard de la démarche psychiatrique : inscrite dans l’organicisme du XIXe siècle, elle développe une sèche classification fondée, au début du XXe siècle, sur la bipartition névrose/psychose et, au sein de cette dernière, sur le couple schizophrénie/psychose maniaco-dépressive. Les deux auteurs mènent la critique sur trois fronts. La première critique porte sur la disparition du sujet. Selon Assoun, la lecture standardisée des symptômes du patient maniaque appauvrit la dimension subjective qui doit faire partie du soin. Peut-on résumer son état – l’humeur triomphante et jubilatoire, l’extrême mobilité insomniaque, l’hyperliberté du langage, l’accélération de la pensée – à un tableau clinique inaugurant systématiquement le même protocole médical ? Par exemple, doit-on opposer si évidemment un être maniaque débordant d’affect à l’être mélancolique replié sur lui-même et l’auto-béatitude de l’un à l’auto-reproche de l’autre ?


La deuxième critique porte sur les modes de prise en charge précoce des sujets qui entrent dans la psychose. Les centres canadiens de détection des psychoses débutantes renvoient, selon Trichet, au vieux projet aliéniste de création de services pour les délirants aigus, voué à raccourcir au maximum le temps non médicalisé de la maladie. Si l’usage préventif de neuroleptiques pose des problèmes de santé et d’éthique non négligeables – la présence d’effets secondaires existe en effet toujours avec les molécules les plus récentes, même s’ils semblent atténués –, on oublie trop rapidement que ces médicaments, appelés à tort « antipsychotiques », n’attaquent pas la structure de la psychose, mais réduisent les symptômes au même titre que la première génération de neuroleptiques. En effet, aucun traitement ne permet au patient de retrouver l’état antérieur à l’entrée dans la psychose : c’est la notion même de guérison qui est donc en jeu.


La troisième critique souligne l’archaïsme des conceptions théoriques contemporaines qui sous-tendent l’interventionnisme précoce en matière de psychose. Comme l’explique Trichet, depuis sa construction à la fin des années 1970, le modèle « stress-vulnérabilité », fondé sur une représentation bio-psycho-sociale de l’apparition de la folie, est devenu la clé de compréhension dominant des troubles psychotiques. L’individu psychotique est considéré comme un être génétiquement vulnérable et incapable de maîtriser les stress multifactoriels de la société moderne. Dans une société obsédée par la gestion du risque, la psychiatrie contribue donc à repérer en amont les plus vulnérables et à scruter les prodromes d’une éventuelle psychose, même si ces signes – humeur dépressive, problème de concentration, troubles du sommeil par exemple – sont forcément peu spécifiques dans une phase débutante.

Pourquoi la folie ?, Hervé Guillemain, La vie des idées,

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