mercredi 6 mars 2013

Elle n'avait pas de chemin :



Julie et ses dentelles !

Les dentelles de Montmirail
Au sommet du mont, parmi les cailloux, les trompettes de terre cuite des hommes des vieilles gelées blanches pépiaient comme de petits aigles.
Pour une douleur drue, s'il y a douleur.
La poésie vit d'insomnie perpétuelle.
Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais il le prononce à voix si basse que nul ne l'entend jamais.
Il n'y a pas de repli ; seulement une patience millénaire sur laquelle nous sommes appuyés.
Dormez, désespérés, c'est bientôt jour, un jour d'hiver.
Nous n'avons qu'une ressource avec la mort : faire de l'art avant elle.
La réalité ne peut être franchie que soulevée.
Aux époques de détresse et d'improvisation, quelques-uns ne sont tués que pour une nuit et les autres pour l'éternité : un chant d'alouette des entrailles.
La quête d'un frère signifie presque toujours la recherche d'un être, notre égal, à qui nous désirons offrir des transcendances dont nous finissons à peine de dégauchir les signes.
Le probe tombeau : une meule de blé. Le grain au pain, la paille pour le fumier.
Ne regardez qu'une fois la vague jeter l'ancre dans la mer.
L'imaginaire n'est pas pur : il ne fait qu'aller.
Les grands ne se perpétuent que par les grands. On oublie. La mesure seule est blessée.
Qu'est-ce qu'un nageur qui ne saurait se glisser entièrement sous les eaux ?
Avec des poings pour frapper, ils firent de pauvres mains pour travailler.
Les pluies sauvages favorisent les passants profonds.
L'essentiel est ce qui nous escorte, en temps voulu, en allongeant la route. C'est aussi une lampe sans regard, dans la fumée.
L'écriture d'un bleu fanal, pressée, dentelée, intrépide, du Ventoux alors enfant, courait toujours sur l'horizon de Montmirail qu'à tout moment notre amour m'apportait, m'enlevait.
Des débris de rois d'une inexpugnable férocité.
Les nuages ont des desseins aussi fermés que ceux des hommes.
Ce n'est pas l'estomac qui réclame la soupe bien chaude, c'est le cœur.
Sommeil sur la plaie pareil à du sel.
Une ingérence innommable a ôté aux choses, aux circonstances, aux êtres, leur hasard d'auréole. Il n'y a d'avènement pour nous qu'à partir de cette auréole. Elle n'immunise pas.
Cette neige, nous l'aimions, elle n'avait pas de chemin, elle découvrait notre faim.

René Char, 1960



L'idée d'une poussée

Les trois arêtes des Dentelles. — Depuis le Sud de Gigondas jusqu'à l'Ouest de Suzette se développent trois rangées de crêtes aiguës et arquées, couronnées de rochers festonnés et séparées par deux étroits vallons. Ce sont les Dentelles de Gigondas ou Dentelles de Montmirail, modestes par leur altitude puisque la plus haute, celle du Turc, n'atteint guère que 630 m., mais gracieuses et hardies à souhait, fort tourmentées aussi.

L'arête Nard ou arête des Fleurets correspond dans l'ensemble à un pli synclinal portlandien, long et étroit, surélevé entre deux failles, tantôt très ouvert, tantôt très pincé, compliqué d'accidents dus à la rupture de sa charnière, et dont le soubassement kimmeridgien vient heurter ou même recouvrir les assises valanginiennes qui le bordent.
Il est malaisé de suivre pas à pas les avatars de ce noyau synclinal depuis son extrémité Sud-Ouest, trop disloquée pour laisser reconnaître la structure, jusqu'à son extrémité Nord-Est, où, au moment de se raccorder avec la Montagne de Saint-Amand, l'arête surbaissée se complique d'un synclinal secondaire.
A la Cluse des Fleurets on peut voir le calcaire portlandien se dresser vers le Nord-Ouest en un mur crénelé par l'érosion, se relever vers le Sud-Est pour former un escarpement au-dessus du talus signalant l'affleurement des calcaires moins solides du Kimmeridgien. Plus à l'Est le synclinal s'ouvre et montre son volet Nord puis l'amorce de son volet Sud déterminant un glacis rocailleux.
Vers le milieu de l'arête, sur son versant Sud, le Portlandien jaillit sous la forme d'une muraille festonnée et qui signale la rupture du synclinal devenu trop aigu. Là, un lambeau de calcaire marneux berriasien constitue la ligne de crête ; le fait qu'il se soit conservé à 589 m., à une altitude inférieure de moins de 10 m. au point culminant de l'arête, autorise à dire que le pli des Fleurets s'est manifesté à une date récente. Au-delà, la ligne de faîte est représentée par un bloc de Portlandien relevé vers le Nord-Ouest, tranché dans cette direction en une belle falaise, qui se juxtapose au mur à peine saillant formé par ce même niveau calcaire et tourné vers le Sud-Est. Il semble bien que l'on ait affaire aux deux flancs basculés l'un par rapport à l'autre du synclinal qui s'est brisé.

L'arête médiane au arête du Turc marque la réapparition des calcaires tithoniques par-delà le synclinal gorgé de marno-calcaires néocomiens broyés sous la violence des compressions latérales. Cette arête représente, d'un côté, un anticlinal très aigu dont la charnière s'est rompue, de l'autre, un morceau d'anticlinal, c'est-à-dire une cuesta : vers l'Est les deux panneaux de calcaire portlandien verticaux ou même légèrement déversés au Nord, s'appliquent l'un
contre l'autre sans interposition du Kimmeridgien ; vers l'Ouest, le pli s'exhausse et se faille, il n'en subsiste que le flanc Nord dans les calcaires portlandîens et kimnieridgiens hérissés.
Dans cette arête médiane qui s'offre en tranches très redressée, aux actions subaériennes, installée à la faveur de traces confuses de stratification et de plans de clivage nés du mouvement de compression, de l'application brutale des deux flancs de l'anticlinal, l'érosion a dégagé d'étroits couloirs entre des lames crénelées de calcaire portlandien qui se trouve ainsi sculpté et ajouré à la manière d'une dentelle.

La cuesta du Grand Montmirail se dresse en bordure de la zone déprimée comme une forme de relief plus apaisée, tout au moins à la hauteur de Lafare. Il s'agit du flanc Nord d'un anticlinal éventré qui devait recouvrir la dépression triasique à un moment où les frêles ondulations tithoniques des Fleurets et du Turc ne s'étaient
pas encore manifestées. C'est une cuesta qui montre en affleurement toute la série du Jurassique supérieur : au-dessus des vallonnements de marnes noires callovo-oxfordiennes, verticales au contact du Trias diapir, un talus se développe au niveau des assises du Rauracien, du Séquanien et du Kimmeridgien inclinées à 45° vers le Nord-Ouest, jusqu'à la corniche blanchâtre du Portlandien.
Mais à chaque extrémité de la côte on ne retrouve plus cette belle ordonnance. Un pli-faille redouble la falaise du Portlandien et son soubassement kimmeridgien au Nord-Est, par-delà le ruisseau qui draine en partie les vallons néocomiens et franchit la barre rocheuse vraisemblablement à la faveur d'un accident transversal. Au Sud-Ouest il semble que la voûte, ailleurs détruite, qui faisait suite au volet synclinal du Grand Montmirail, s'est effondrée, donnant ainsi le bloc calcaire disloqué qui forme un large promontoire au milieu des basses terres.
Ces accidents ne sont pas sans rapport avec ceux qui affectent la moitié Ouest de l'arête du Turc, arête qui, d'autre part, s'ennoie brutalement vers l'Est. On peut considérer les deux Dentelles méridionales comme autant de branches d'un arc dont la corde serait représentée par l'arête Nord ; arc gonflé en son centre, au droit de Lafare, où la démolition de la voûte calcaire devait être très avancée lorsqu'il a été mis en place, pincé et rompu à ses deux extrémités.
Au Sud-Ouest la torsion est si violente que les deux plis, peut-être un moment soudés en un anticlinal unique, ont éclaté ; ils se réduisent à des chicots enchevêtrés dans les marnes noires, puis dans une bande de Trias, étroite et tordue, à l'endroit où l'агc de plis vient déborder l'arête des Fleurets. Tout cela s'accorde avec l'idée d'une poussée venue du Nord-Est et exerçant ses effets maxima au Sud-Ouest sur des assises qui paraissent impuissantes à se défiler comme si elles butaient contre quelque obstacle caché. Le Trias, cerné de toutes parts, pourvu d'une pression hydrostatique énorme, aurait giclé au coeur de cette zone anticlinale comprimée et disloquée en entraînant dans son ascension les marnes du Callovo-Oxfordien. Ainsi une tectonique exaspérée en bordure du niveau de base local explique la disparition de l'arc externe, d'autant plus vulnérable que le Tithonique y était depuis fort longtemps soumis aux actions subaériennes, et la décrépitude de l'extrémité occidentale de l'arc interne.
La cuesta du Grand Montmirail se continue jusqu'à la hauteur de Suzette mais rejetée de 600 m. en arrière de sa direction primitive. Ce décrochement provient assurément d'un retard dans la démolition de l'anticlinal dont la cuesta représente un morceau du flanc Nord. Mieux conservé au cœur du massif qu'il ne pouvait l'être au-dessus de Lafare, cet anticlinal, qui appartenait d'autre par à un puissant bombement, a fait obstacle à la poussée venue du Nord-Ouest.

Gilbert Armand, Le relief du massif de Gigondas-Suzette,
Revue de géographie alpine. 1950, Tome 38 N°4. pp. 593-622. : + :
 explication géologique simplifiée : + :