Andrej Rublëv - Détail de l’icône de la Sainte Trinité - de à
Certains souhaitent que l'art inscrive sous une forme indélébile la
mémoire des horreurs du siècle. D'autres veulent qu'il aide les hommes
d'aujourd'hui à se comprendre dans la diversité de leurs cultures.
D'autres encore nous expliquent que l'art aujourd'hui produit - ou doit
produire - non plus des œuvres pour des amateurs mais des nouvelles
formes de relations sociales pour tous. Mais l'art ne travaille pas pour rendre les contemporains responsables à l'égard du passé ou pour
construire des rapports meilleurs entre les différentes communautés. Il
est un exercice de cette responsabilité ou de cette construction. Il
l'est dans la mesure où il prend dans son égalité propre les diverses
sortes d'arts qui produisent des objets et des images, de la résistance
et de la mémoire. Il ne se dissout pas en relations sociales. Il
construit des formes effectives de communauté : des communautés entre
objets et images, entre images et voix, entre visages et paroles, qui
tissent des rapports entre des passés et un présent, entre des espaces
lointains et un lieu d'exposition. Ces communautés n'assemblent qu'au
prix de séparer, ne rapprochent qu'au prix de créer de la distance. Mais
séparer, créer de la distance, c'est aussi mettre les mots, les images
et les choses dans une communauté plus large des actes de pensée et de
création, de parole et d'écoute qui s'appellent et se répondent. Ce
n'est pas développer des bons sentiments chez les spectateurs, c'est les
convier à entrer dans le processus continué de création de ces
communautés sensibles. Ce n'est pas proclamer que tous sont artistes.
C'est dire que toujours l'art vit de l'art qu'il transforme et de celui
qu'il suscite à son tour.