Si je puis lutter contre un accès de dépression, au nom de quelle vitalité m’acharner contre une obsession qui m’appartient, qui me précède ? Que je me porte bien, j’emprunte le chemin qui me plaît ; « atteint » ce n’est plus moi qui décide : c’est mon mal. Pour les obsédés point d’option : leur obsession a déjà opté pour eux, avant eux. On se choisit quand on dispose de virtualités indifférentes ; mais la netteté d’un mal devance la diversité des routes ouvertes au choix. Se demander si on est libre ou non, — vétille aux yeux d’un esprit qu’entraînent les calories de ses délires. Pour lui, prôner la liberté, c’est faire montre d’une santé déshonorante. La liberté ? Sophisme des bien portants.
Nos flottements portent la marque de notre probité ; nos assurances, celle de notre imposture. La malhonnêteté d’un penseur se reconnaît à la somme d’idées précises qu’il avance.
Non content des souffrances réelles, l’anxieux s’en impose d’imaginaires ; c’est un être pour qui l’irréalité existe, doit exister ; sans quoi où puiserait-il la ration de tourments qu’exige sa nature ?
Technique que nous pratiquons à nos dépens, la psychanalyse dégrade nos risques, nos dangers, nos gouffres ; elle nous dépouille de nos impuretés, de tout ce qui nous rendait curieux de nous-mêmes.
Emil Cioran, Syllogisme de l'amertume, 1952
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