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Sténographie Pitman : + : |
Hélas le moment est venu où il faut essayer de justifier l’expression «esprit de Murphy». Nous n’avons heureusement pas à nous occuper de cet appareil tel qu’il était en réalité – cela serait trop demander -, mais simplement tel qu’il se sentait et s’imaginait. L’esprit de Murphy est après tout le fond de ces informations. En lui consacrant à ce point une section à lui seul, nous n’aurons plus à en faire l’apologie.
L’esprit de Murphy s’imaginait comme une grand sphère creuse, fermée hermétiquement à l’air extérieur. Cela ne constituait pas un appauvrissement, car il n’excluait rien qu’il ne renfermât en lui-même. Rien n’avait été, ni n’était, ni ne serait, dans l’univers extérieur à lui, qui ne fut déjà présent, soit en puissance, soit en acte, soit en puissance montant vers l’acte soit en acte déclinant vers la puissance, dans l’univers intérieur à lui.
Cela n’entraînait pas Murphy dans le goudron idéaliste. Il y avait le fait mental et il y avait le fait physique, également réels, sinon agréables.
La distinction qu’il faisait entre les présences en acte et les présences en puissance de son esprit, il la faisait non pas entre ce qui avait de la forme et ce qui informément y tendait, mais entre ce dont il avait une expérience et mentale et physique et ce dont il avait une expérience mentale seulement. Ainsi la forme de coup de pied était présente en acte, celle de caresse en puissance.
La partie en acte l’esprit se la sentait en dessus et claire, la partie en puissance en dessous et obscure, sans toutefois rattacher ce sentiment au diabolo éthique. L’expérience mentale était distincte de l’expérience physique, ses critériums n’étaient pas ceux de l’expérience physique, la conformité d’une partie de son contenu avec la réalité physique n’ajoutait pas de valeur à cette partie. L’esprit ne fonctionnait pas et ne pouvait pas être réparti selon un jugement de valeur. Il était fait de clarté, de pénombre et de noir, d’un dessus et d’un dessous, non pas de bien et de mal. Il renfermait des formes qui avaient leurs parallèles dans un autre mode et des formes qui n’en avaient pas, non pas des formes bonnes et des formes mauvaises. Il ne ressentait aucun conflit entre sa clarté et son noir, aucun besoin pour que sa clarté dévorât son noir. Le besoin était d’être tantôt dans la clarté, tantôt dans la pénombre, tantôt dans le noir. C’était tout.
Samuel Beckett, Murphy, 1938, traduit par Beckett en 1947
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