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Jennifer B Hudson - Medic : + : |
Compagnons inconnus, vieux frères, nous arriverons ensemble, un jour, aux portes du royaume de Dieu. Troupe fourbue, troupe harassée, blanche de la poussière de nos routes, chers visages durs dont je n'ai pas su essuyer la sueur, regards qui ont vus le bien et le mal, rempli leur tâche, assumé la vie et la mort, ô regards qui ne se sont jamais rendus ! Ainsi vous retrouverai-je, vieux frères. Tels que mon enfance vous a
rêvés. Car j'étais parti à votre rencontre, j'accourais vers vous. Au
premier détour, j'aurais vu rougir les feux de vos éternels bivouacs.
Mon enfance n'appartenait qu'à vous. Peut-être, un certain jour, un jour
que je sais, ai-je été digne de prendre la tête de votre troupe
inflexible. Dieu veuille que je ne revoie jamais les chemins où j'ai
perdu vos traces, à l'heure où l'adolescence étend ses ombres, où le suc
de la mort, le long des veines, vient se mêler au sang du cœur ! Chemins du pays d'Artois à l'extrême automne, fauves et odorants comme des bêtes, sentiers pourrissants sous la pluie de novembre, grandes chevauchées des nuages, rumeurs du ciel, eaux mortes... J'arrivais, je poussais la grille, j'approchais du feu mes bottes rougies par l'averse. L'aube venait bien avant que fussent rentrées dans le silence de l'âme, dans ses profonds repaires, les personnages fabuleux encore à peine formés, embryons sans membres, Mouchette et Donissan, Cénabre, Chantal, et vous, vous seul de mes créatures dont j'ai cru parfois distinguer le visage, mais à qui je n'ai pas osé donner de nom - cher curé d'un Ambricourt imaginaire. Etiez-vous alors mes maîtres ? Aujourd'hui même, l'êtes-vous ? Oh ! Je sais bien ce qu'à de vain ce retour vers le passé. Certes, ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est
le petit garçon que je fus. Et pourtant l'heure venue, c'est lui qui
reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années
jusqu'à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la
troupe en désordre entrera le premier dans la Maison du Père. Après tout j'aurai le droit de parler en son nom. Mais justement on ne parle pas au nom de l'enfance, il faudrait parler son langage. Et c'est ce langage oublié; ce langage que je cherche de livre en livre, imbécile ! comme si un tel langage pouvait s'écrire, s'était jamais écrit. N'importe ! Il m'arrive parfois d'en retrouver quelque accent... et c'est cela qui vous fait prêter l'oreille, compagnons dispersés à travers le monde, qui par hasard ou par ennui avez ouvert un jour mes livres. Singulière idée que d'écrire pour ceux qui dédaignent l'écriture ! Amère ironie de prétendre persuader et convaincre alors que ma certitude profonde est que la part du monde encore susceptible de rachat n'appartient qu'au enfants, aux héros et aux martyrs.
Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune, 1937
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Jennifer B Hudson - Reconciliation final |