mercredi 25 avril 2012

Je n’aime pas ce bruit :

Appareils d'écoute pour système d'alerte militaire précoce.ici



















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Elle se présente également dans l’une et dans l’autre face des parois luisantes et séculaires ne gardant d’elle que d’une main la clarté opaline de sa science et de l’autre son volume, le volume de ses nuits, maintenant fermé : du passé et de l’avenir que parvenue au pinacle de moi, l’ombre pure domine parfaitement et finis, hors d’eux. Tandis que devant et derrière se prolonge le mensonge exploré de l’infini, ténèbres de toutes mes apparitions réunies, à présent que le temps a cessé et ne les divise plus, retombées en un lourd somme, massif (lors du bruit d’abord entendu), dans le vide duquel j’entends les pulsations de mon propre cœur.
Je n’aime pas ce bruit : cette perfection de ma certitude me gêne : tout est trop clair, la clarté montre le désir d’une évasion ; tout est trop luisant, j’aimerais rentrer en mon Ombre incréée et antérieure, et dépouiller par la pensée le travestissement que m’a imposé la nécessité, d’habiter le cœur de cette race (que j’entends battre ici) seul reste d’ambiguïté.
À vrai dire, dans cette inquiétante et belle symétrie de la construction de mon rêve, laquelle des deux ouvertures prendre, puisqu’il n’y a plus de futur représenté par l’une d’elles ? Ne sont-elles pas toutes deux, à jamais équivalentes, ma réflexion ? Dois-je encore craindre le hasard, cet antique ennemi qui me divisa en ténèbres et en temps créés, pacifiés là tous deux en un même somme ? et n’est-il pas par la fin du temps, qui amena celle des ténèbres, lui-même annulé ?
(chuchotement)

En effet, la première venue ressemble à la spirale précédente : même bruit scandé, — et même frôlement : mais comme tout a abouti, rien ne peut plus m’effrayer : mon effroi qui avait pris les devants sous la forme d’un oiseau est bien loin : n’a-t-il pas été remplacé par l’apparition de ce que j’avais été ? et que j’aime à réfléchir maintenant, afin de dégager mon rêve de ce costume.
Ce scandement n’était-il pas le bruit du progrès de mon personnage qui maintenant le continue dans la spirale, et ce frôlement, le frôlement incertain de sa dualité ? Enfin ce n’est pas le ventre velu d’un hôte inférieur de moi, dont la lueur a heurté le doute, et qui s’est sauvé avec un volètement, mais le buste de velours d’une race supérieure que la lumière froisse, et qui respire dans un air étouffant, d’un personnage dont la pensée n’a pas conscience de lui-même, de ma dernière figure, séparée de son personnage par une fraise arachnéenne et qui ne se connaît pas : aussi, maintenant que sa dualité est à jamais séparée, et que je n’ouïs même plus à travers lui le bruit de son progrès, je vais m’oublier à travers lui, et me dissoudre en moi.
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Stéphane Mallarmé, Igitur ou la Folie d’Elbehnon, 1925