vendredi 20 décembre 2013

Sans terreur ni alarme :


Adolphe Millot - Plumes -  Larousse pour tous  -1907                                    : + :


(...) et  le destin ou le hasard (ou la guigne, sans quoi il aurait pu découvrir que, pas plus que la lumière du soleil, l'amour n'existe en un seul endroit, à un seul instant ou dans un seul corps, par toute la terre et le temps et l'humanité vivante et grouillante)
(...) parce que je connais la réponse et je sais que cette réponse je ne peux pas la changer, et je ne crois pas que je puisse me changer moi même parce que dès la seconde fois où je t'ai vu j'ai compris ce que j'avais lu dans les livres et que je n'avais jamais vraiment cru : c'est que l'amour et la souffrance sont une seule et même chose et que la valeur de l'amour est la somme de ce qu'il faut payer pour le connaître, et chaque fois qu'on l'obtient à bon compte on se vole soi même.
(...)Voilà. C'est exactement l'inverse. Ce sont les livres, les gens dans les livres, qui devraient inventer et lire nos histoires à nous - les Doe, les Roe, les Wilbourne et les Smith - mâles et femelles mais sans les bites et les cons.
(...) et de nouveau Wilbourne médita sur cette faculté instinctive qu'ont les femmes, même innocentes et novices, de comprendre et faire marcher les mécanismes de la cohabitation - cette sereine confiance dans leurs destinées amoureuses, comme celle des oiseaux dans leurs ailes -, cette fois implacable et tranquille en un bonheur personnel imminent et mérité les fait instantanément s'élancer, ailes grandes ouvertes, de l'abri que leur offrait la respectabilité jusque dans les espaces inconnus et vides où nul rivage n'est visible (Pas le péché pensa-t-il. Je ne crois pas au péché. Tout cela n'est qu'une question de rythme. Dès la naissance on est pris dans le défilé anonyme des myriades anonymes et grouillantes de son temps et de sa génération ; on perd le rythme une fois, un seul faux pas, et on périt sous les piétinements de la foule.) et cela sans terreur ni alarme, ce qui n'est signe ni de courage ni d'endurance, mais simplement d'une fois complète, absolue, en des ailes novices, aériennes et fragiles - aériens et fragiles symboles de l'amour par quoi elles ont déjà été trahies une première fois puisque, par consentement et acceptation universels, elles se sont attardées sur la cérémonie même qu'elles ont répudiée en prenant leur vol. Ils passèrent, disparurent.
William Faulkner, Si je t'oublie Jérusalem, Les palmiers sauvages, 1939



Mark Laita                                                                                                                                                     : + :