Marc-Antoine Mathieu - Julius Corentin Acquefacques - 1991 : + : |
Que veut l'anarchiste ? La liberté ; la liberté pour lui et pour les autres, pour l'humanité toute entière. Il veut se voir libéré de l'influence ou de la contrainte des fictions sociales ; il veut être libre, comme il l'était en venant au monde, et comme il devrait l'être en toute justice ; et cette liberté, il la veut pour lui-même et pour tous les autres. Certes, les hommes ne peuvent pas être tous égaux devant la nature ; il en est des grands et des petits, des forts et des faibles, il en est d'intelligents et d'autres qui le sont moins... Mais pour le reste, ils peuvent être égaux entre eux ; ce qui les en empêche, ce sont les fictions sociales, et c'est donc elles qu'il faut détruire.(...)- La guerre est donc déclarée, pensai-je, entre les fictions sociales et moi. Bien. Que puis-je faire contre elles ? J'agis seul, pour éviter de créer une tyrannie quelconque. Comment puis-je contribuer, à moi tout seul, à préparer la révolution sociale, à préparer aussi l'humanité à la société libre ?(...)J'ai songé tout d’abord à l'action indirecte : la propagande. Quelle propagande pouvais-je réaliser, à moi seul ? Je ne parle pas de celle qu'on peut faire en bavardant avec les uns et les autres, au hasard des rencontres et des occasions qui se présentent ; non, je voulais savoir si ce type d'action me permettait de déployer mon activité d'anarchiste avec toute mon énergie, et d'obtenir ainsi des résultats sensibles. J'ai constaté bientôt que non. Je ne suis ni un orateur, ni un écrivain.
Fernando Pessoa, Le banquier anarchiste, 1922
traduit du portugais par Françoise Laye
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