mardi 5 juin 2012

On ne pouvait l’entendre sans oublier tous ses maux :


Ce n’est que d’après la littérature épique de l’Irlande que l’on peut se faire une idée de l’Élysée rêvé par les Celtes, pays merveilleux que l’on atteignait en s’embarquant sur une barque de verre ; au-delà de la mer, on apercevait une grande tour transparente aux contours indécis ; dans les ouvertures des créneaux apparaissaient des formes qui ressemblaient à des hommes. Quiconque essayait d’aborder au pied de la tour était emporté par les flots de la mer. Au delà de la tour s’étendaient des plaines fertiles plantées d’arbres étranges. Quelques-uns avaient des branches d’argent auxquelles pendaient des pommes d’or. Quand on heurtait ces pommes les unes contre les autres, elles produisaient un son si harmonieux qu’on ne pouvait l’entendre sans oublier tous ses maux. Au pied des arbres coulaient des ruisseaux de vin et d’hydromel. La pluie qui rafraîchissait la terre était de bière. Les porcs qui paissaient dans la plaine renaissaient, une fois mangés, pour de nouveaux festins. Partout une agréable musique flattait l’oreille et ravissait l’âme par ses douces mélodies. C’était bien la vie que le Celte avait pu rêver ici-bas. Toujours jeune, toujours beau, couronné de fleurs, il passait ses jours dans de longs festins où la bière ne cessait de couler et où la viande de porc ne manquait pas. Jamais il ne s’élevait de contestations pour savoir à qui devait revenir le meilleur morceau. Les combats étaient au nombre des plaisirs du peuple des morts ; les guerriers étaient armés d’armes éclatantes ; ils brillaient de l’éclat de la jeunesse ; les batailles étaient plus acharnées et plus terribles que chez les vivants et des fleuves de sang coulaient dans la Grande Plaine. Ainsi le Celte retrouvait dans l’autre vie tout ce qu’il avait aimé sur la terre, la musique, la bonne chère et la guerre.
Georges Dottin, La Religion des Celtes, Librairie Bloud et Cie, 1904 (pp. 27-38), ici.