samedi 9 juin 2012

Le ventre de l'univers :



Jake and Dino Chapman - ici.

Il y avait aussi une couronne en papier mâché, et quand Léon se trouva dans cet accoutrement on le fit danser. Il commença par une valse, puis c'était un tango pendant lequel Léon, d'une manière on ne saurait plus suggestive, serrait dans ses bras une partenaire imaginaire. Il en était déjà à s’essouffler quand le capitaine demanda un peu de folklore. Dès ce moment-là les choses commencèrent se gâter. Pendant la cosaque, les jambes de Léon s'embrouillèrent dans sa chemise. Il trébucha. Devant ses yeux émerveillés se construisit un poulailler énorme. Les barres en étaient de métal fluorescent. Une lumière aveuglante se répandait, mais où en était donc la source ?... Sur les barres se tenaient des poules violettes et des archanges graves et ailés. Tout le monde entonna un choral, attaqua une symphonie stridente, aiguë comme une lame qui s'échappait - ô merveille - de la gorge de Léon L

Ça glissait. Ça dégoulinait. Des cris stridents remplissaient la pièce comme autant de petits animaux affolés. Des bâillements, des sons vagues, des bruits monstres et bâtards. Des déchirements de sens et de peaux. Des figures géométriques, toutes les géométries qui entraient en folie comme on entre dans un bain chaud. Quelqu’un qui dit : « La géométrie, cette preuve irréfutable que Dieu est fou, fou à lier… » Le ventre de l’Univers, le ventre de l’Etre était ouvert et ses tripes immondes envahissaient la pièce. Les dimensions, les catégories de la conscience, temps, espace, douleur, vide, astronomies se livraient à une mascarade ou à un combat, à une noce ou à une chevauchée et la chair des rêves s’étalait sur le siège de Dieu, évanoui, couché sur le ciment dans Ses propres vomissures. La femme tranquille, la seule qui au début ne semblait pas croire à la vertu magique des documents officiels fut couchée et empalée. La masse immense du viol, fleur multicolore et exotique, s’épanouit dans la pièce. Ce qui peut être nommé restait modeste, gris, bassement soumis à la raison, à côté de l’innommable. La masse du viol s’écoulait entre les jambes écartées de la femme sans qu’elle profère un son. Une pantomime. Comme des statues blessées –songeait Boris que l’aimable caporal invitait à prendre part à la réjouissance commune. Boris ne dit pas s’il déclina l’invitation. A un moment donné, il sentit chez le bienveillant caporal quelque chose comme une menace voilée. Comme qui dirait : Le Monsieur ne daigne pas participer aux viriles réjouissances populaires. Ceci pourrait coûter à Monsieur.
Piotr Rawicz, Le sang du ciel, 1961,
entretiens avec Rawicz ici : "Les différences qu'on s'attache à marquer entre les êtres ne me semblent pas très réelles. A bien les regarder ce sont des différences minimes. Et je n'ai aucune faculté d'indignation."
et , adaptation radiographique.