vendredi 23 janvier 2015

En nous aidant de toutes sortes de trucs :

 
Guang Lu



Nous n'avons pas de quoi payer, répondit le granger, et tout ce que nous possédons, c'est ce que nous avons réussi à voler. Et notre vie, qui est constamment suspendue à un fil d'araignée. La forêt est pleine de démons et de loups. Des maladies nous guettent dans les buissons. La peste peut à tout instant frapper à notre porte, le manoir ne cesse de nous donner des ordres. Notre vie aussi est volée, et nous devons chaque jour la voler à nouveau en nous aidant de toutes sortes de trucs et d'astuces, afin de rester vivant jusqu'au lendemain. Si nous commencions à payer honnêtement pour tout, que deviendrions-nous ? Nous n'existerions plus. Et toi non plus, Joosep, tu n'existerait pas, car personne d'autre ne se fatiguerait à négocier avec le Vieux-Paîen pour qu'il donne une âme à de vieux balais ou à des bouquets de branches. Au lieu de cela, les gens se promèneraient en barque sur des rivières illuminées par des flambeaux, joueraient de la musique et chanteraient pour leur dulcinées, livreraient de temps en temps des batailles, chevaucheraient de fringants destriers et périraient en héros. On chanterait leurs exploits et on graverait leur visage dans la pierre.
Andrus Kivirähk, Les groseilles de novembre (Chronique de quelques détraquement dans la contrée des kratts)