samedi 19 juillet 2014

Newton et les échafaudages :


Julien Belon - juillet 2014 - N'Djamena


Petit, l'Afrique lui apparaissait comme un monumental opéra baroque : des personnages diformes, des scènes extravagantes, une orgie de bruits et de couleurs, une musique jamais entendue ; un spectacle démesuré à désintégrer l'esprit, à bruler les sens ! Tout n'y serait que féérie, ivresse, exotique délectation - les tonnerres, les ouragans, les précipices,  pour les délices de la comédie, les fièvres, les furoncles, les morsures de serpent et les états comateux, juste pour les besoins de l'esthétique ! Il suffirait d'un simple magistral contre-ut pour surmonter les obstacles qui parsème d’ordinaire le chemin des héros : les défis, les intrigues, les tourments de l'amour.
Il arriverait, un royaume surgirait aussitôt avec la même rapidité que dans les rêves, le même panache que dans Jules César en Egypte ou Lorenzaccio.
Ce serait un pays tout nouveau, tout vierge, avec des fleurs partout et des fruits étranges ; peuplé de bêtes et de tribus éparses, joviales et pacifiques. Un pays embryonnaire qui n'attendrait que sa petite étincelle pour s'irradier et jaillir des ténèbres. Il ne lui resterait plus alors qu'à le façonner selon son goût, avec l'aisance du potier devant la terre glaise.  D'abord à petite doses, le solfèges et l'alphabet, puis Archimède, l'algèbre, Virgile et Ronsard, ensuite seulement Newton et les échafaudages !

Tierno Monénembo, Le roi de Kahel, 2008