Tous mes films, d'une façon ou d'une autre, répètent que les hommes ne sont pas seuls et abandonnés dans un univers vide, mais qu'ils sont reliés par d'innombrables liens au passé et à l'avenir, et que chaque individu noue par son destin un lien avec le destin humain en général. Cet espoir que chaque vie et que chaque acte ait un sens, augmente de façon incalculable la responsabilité de l'individu à l'égard du cours général de la vie.
Le personnage principal de mon prochain film, le sacrifice, est aussi un homme faible, au sens courant du terme. Il n'est pas un héros, mais un penseur et un homme honnête, capable de se sacrifier pour un idéal élevé. Quand la situation l'exige, il n'esquive pas ses responsabilités ni ne les renvoie vers les autres. Et il prend le risque d'être incompris, car sa façon d'agir n'est pas seulement radicale mais aussi affreusement destructrice aux yeux de ses proches. C'est là que réside la force particulièrement dramatique et véridique de son acte. Néanmoins il exécute cet acte et franchit avec lui le seuil du comportement accepté comme normal. Il prend ainsi le risque d'être qualifié de fou parce qu'il a conscience d'appartenir à un tout, ou, si l'on veut au destin du monde. Mais en réalité il ne fait qu'obéir à sa vocation, telle qu'il l'a ressent dans son cœur. Il n'est pas le maître de sa destiné mais son serviteur. Et ce sont ainsi des efforts individuels, que personne ne voit ni ne comprend, qui soutiennent très probablement l'harmonie du monde.
Andrei Tarkovski, Le Temps scellé