vendredi 7 décembre 2012

Une autre sorte de port :

Hugo Pratt - Corto Maltese - Mu

Corto Maltese - Suite caraibéenne




Reconnaître la vérité comme vérité, et en même temps comme erreur ; vivre les contraires, sans les accepter ; tout sentir de toutes les manières, et n’être à la fin rien d’autre que l’intelligence de tout - quand l’homme s’élève à un tel sommet, il est libre comme sur tous les sommets, seul comme sur tous les sommets, uni au ciel, auquel il n’est jamais uni, comme sur tous les sommets.
Fernando Pessoa,  Le chemin du serpent,






Toutes les mers, tous les détroits, toutes les baies, tous les golfes
je voudrais les serrer sur ma poitrine, bien les sentir, et mourir!
Et vous, choses navales, vieux jouets de mes rêves!
Recomposez hors de moi ma vie intérieure!
Quilles, voiles et mâts, roues de gouvernail, cordages,
Cheminées des steamers, hélices, hunes, flammes claquant aux vents
Drosses, écoutilles, chaudières, collecteurs, soupapes,
Dégringolez en moi en vrac, en tas,
En désordre, comme un tiroir renversé sur le sol !




(...)
Ah, tout quai est une saudade en pierre !
Et quand le navire se détache du quai
Et que l’on remarque d’un coup que s’est ouvert un espace
Entre le quai et le navire,
Il me vient, je ne sais pourquoi, une angoisse toute neuve,
Une brume de sentiments de tristesse
Qui brille au soleil de mes angoisses couvertes de gazon
Comme la première fenêtre où l’aurore vient battre,
Et qui m’entoure comme un souvenir d’une autre personne
Qui serait mystérieusement à moi.
Ah, qui sait, qui sait,
Si je ne suis pas déjà parti jadis, bien avant moi,
D’un quai ; si je n’ai pas déjà quitté, navire sous le soleil
Oblique de l’aurore,
Une autre sorte de port ?
Alvaro de Campos, Fernando Pessoa, Ode maritime