samedi 7 février 2015

Pour ainsi dire flottante :


Egon Schiele - Femme assise


Nous trouvons, en premier lieu, un état d’angoisse général, une angoisse pour ainsi dire flottante, prête à s’attacher au contenu de la première représentation susceptible de lui fournir un prétexte, influant sur les jugements, choisissant les attentes, épiant toutes les occasions pour se trouver une justification. Nous appelons cet état « angoisse d’attente » ou « attente anxieuse ». Les personnes tourmentées par cette angoisse prévoient toujours les plus terribles de toutes les éventualités, voient dans chaque événement accidentel le présage d’un malheur, penchent toujours pour le pire, lorsqu’il s’agit d’un fait ou événement incertain. La tendance à cette attente de malheur est un trait de caractère propre à beaucoup de personnes qui, à part cela, ne paraissent nullement malades on leur reproche leur humeur sombre, leur pessimisme mais l’angoisse d’attente existe régulièrement et à un degré bien prononcé dans une affection nerveuse à laquelle j’ai donné le nom de névrose d’angoisse et que je range parmi les névroses actuelles.
(...) 


Deux figures


Il n’est pas difficile d’établir que l’angoisse d’attente ou l’état d’angoisse général dépend dans une très grande mesure de certains processus de la vie sexuelle ou, plus exactement, de certaines applications de la libido. Le cas le plus simple et le plus instructif de ce genre nous est fourni par les personnes qui s’exposent à l’excitation dite fruste, c’est-à-dire chez lesquelles de violentes excitations sexuelles ne trouvent pas une dérivation suffisante, n’aboutissent pas à une fin satisfaisante. Tel est, par exemple, le cas des hommes pendant la durée des fiançailles, et des femmes dont les maris ne possèdent pas une puissance sexuelle normale ou abrègent ou font avorter par précaution l’acte sexuel. Dans ces circonstances, l’excitation libidineuse disparaît, pour céder la place à l’angoisse, sous la forme soit de l’angoisse d’attente, soit d’un accès ou d’un équivalent d’accès. L’interruption de l’acte sexuel par mesure de précaution, lorsqu’elle devient le régime sexuel normal, constitue chez les hommes, et surtout chez les femmes, une cause tellement fréquente de névrose d’angoisse que la pratique médicale nous ordonne, toutes les fois que nous nous trouvons en présence de cas de ce genre, de penser avant tout à cette étiologie. En procédant ainsi, on aura plus d’une fois l’occasion de constater que la névrose d’angoisse disparaît dès que le sujet renonce à la restriction sexuelle.

Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Traduction par Samuel Jankélévitch, 1923