mardi 27 novembre 2012

Kemialliset ystävät :

 




: MSPC + : DWLD +  : DWLD +   : YT +    : SITE +     : WKPD +      : DSCG + :








You're all welcome to join the band.
We want to make music with every one of you.

The plan is to cover some of the most popular Finnish songs ever.
Let's sing and play together the top 3 of the greatest Finnish
schlager songs
as voted by the listeners of YLE Radio Suomi in 2006!


INSTRUCTIONS
Write to odotanturhaan (at) fonal.com and
we'll let you know how to get these tracks.
Play or sing along to any or all of these songs. You may play through
the whole song or just do parts of it.
Whatever you end up doing, render your tracks starting from the same
spot as the file of the original song. Mute the base track to only
include your sounds.
Send your files (.aiff/.wav) to us: odotanturhaan (at) fonal.com.
If you don't know how to do any of this maybe you have a friend
who can help you to get started.
We will layer all the recordings received from you. It will sound
amazing. Can't wait to hear what you come up with!
Deadline is the April Fool's Day 2011.: + :



Ullakkopalo


lundi 26 novembre 2012

Se présente une vision :



Nicholas Alan Cope & Dustin Edwad Arnold - Aether : + :


D’un côté si l’équivoque cessa, une motion de l’autre, dure, marquée plus pressante par un double heurt, qui n’atteint plus ou pas encore sa notion, et dont un frôlement actuel, tel qu’il doit avoir lieu, remplit confusément l’équivoque, ou sa cessation : comme si la chute totale qui avait été le choc unique des portes du tombeau, n’en étouffait pas l’hôte sans retour ; et dans l’incertitude issue probablement de la tournure affirmative, prolongée par la réminiscence du vide sépulcral du heurt en laquelle se confond la clarté, se présente une vision de la chute interrompue de panneaux, comme si c’était soi-même, qui, doué du mouvement suspendu, le retournât sur soi en la spirale vertigineuse conséquente ; et elle devait être indéfiniment fuyante, si une oppression progressive, poids graduel de ce dont on ne se rendait pas compte, malgré que ce fût expliqué en somme, n’en eût impliqué l’évasion certaine en un intervalle, la cessation ; où, lorsqu’expira le heurt, et qu’elles se confondirent, rien en effet ne fut plus ouï : que le battement d’ailes absurdes de quelque hôte effrayé de la nuit heurté dans son lourd somme par la clarté et prolongeant sa fuite indéfinie.


Nicholas Alan Cope & Dustin Edwad Arnold -  Putesco


Car, pour le halètement qui avait frôlé cet endroit, ce n’était pas quelque doute dernier de soi, qui remuait ses ailes par hasard en passant, mais le frottement familier et continu d’un âge supérieur, dont maint et maint génie fut soigneux de recueillir toute sa poussière séculaire en son sépulcre pour se mirer en un soi propre, et que nul soupçon n’en remontât le fil arachnéen — pour que l’ombre dernière se mirât en son propre soi, et se reconnût en la foule de ses apparitions comprises à l’étoile nacrée de leur nébuleuse science tenue d’une main, et à l’étincelle d’or du fermoir héraldique de leur volume, dans l’autre ; du volume de leurs nuits ; telles, à présent, se voyant pour qu’elle se voie, elle, pure, l’Ombre, ayant sa dernière forme qu’elle foule, derrière elle, couchée et étendue, et puis, devant elle, en un puits, l’étendue de couches d’ombre, rendue à la nuit pure, de toutes ses nuits pareilles apparues, des couches à jamais séparées d’elles et que sans doute elles ne connurent pas — qui n’est, je le sais, que le prolongement absurde du bruit de la fermeture de la porte sépulcrale dont l’entrée de ce puits rappelle la porte.

Stéphane Mallarmé, Igitur ou la Folie d’Elbehnon, 1925, : + :



Nicholas Alan Cope & Dustin Edwad Arnold - Aether

dimanche 25 novembre 2012

Le chemin de la tolérance :


Piet Mondrian (1872–1944) - Victory Boogie Woogie, 1944
 : + :
 

L'ennui, c'était qu'à force de craindre l'excessive localisation des points de vue il en était arrivé à trop peser le pour et le contre, et même à accepter  le oui et le non de toutes choses. A Paris, tout lui était Buenos Aires et vice versa. Au plus sur de l'amour il souffrait et préssentait la rupture et l'oubli. Attitude pernicieusement commode et même facile pour peu quelle devienne un reflet et une technique ; la lucidité terrible du paralytique, l'aveuglement de l'athlète parfaitement stupide. On se met à aller dans la vie du pas indolent du philosophe et du clochard en ramenant peu à peu tous les gestes vitaux au simple instinct de conservation, à l'exercice d'une conscience, plus attentive à ne pas se laisser tromper qu'à appréhender la vérité. Quiétisme laïque, ataraxie moderne, distraction attentive. L'important pour Oliveira, c'était de pouvoir assister infatigablement au spectacle de cet écartèlement à la Tupac-Amaru, et de ne pas sombrer dans ce pauvre égocentrisme (chauvicentrisme, banlieucentrisme, culturcentrisme, folklocentrisme) qui se proclamait quotidiennement autour de lui sous toutes les formes possibles. A dix ans, par un après-midi d'oncles et de pontifiantes homélies historico-politiques sous des platanes, il avait timidement manifesté sa première réaction contre le très hipanico-italo-argentin "c'est moi qui vous le dis !" accompagné d'un coup de point péremptoire, Glielo dico io ! Et moi je vous dis, nom d'un chien ! Ce moi - était parvenu à penser Horacio -, quelle omniscience suppose-t-il ? A quinze ans il avait appris "je sais seulement que je ne sais rien", la cigüe consécutive lui avait paru inévitable, on ne provoque pas ainsi les gens, c'est moi qui vous le dis. Plus tard cela l'amusa de constater que, dans les formes supérieures de la culture, le poids des autorités et des influences, la confiance que donne les bonnes lectures et l'intelligence engendrait aussi leur "c'est moi qui vous le dis", habilement dissimulé sous des "j'ai toujours pensé que", "si je suis sur de quelque chose c'est bien de", "il est évident que", rarement compensé par une vision détachée du point de vue opposé. Comme si l'espèce veillait dans l'individu pour ne pas le laisser trop s'avancer sur le chemin de la tolérance, du  doute intelligent, et du va-et-vient sentimental. En un point donné naissait le durillon, la sclérose, la définition : noir ou blanc, libéral ou conservateur, homosexuel ou hétérosexuel, abstrait ou figuratif, le Sporting ou le Racing-Club, végétarien ou carnivore, les affaires ou la poésie. Et c'était bien ainsi car l'espèce ne pouvait se fier à des types comme Oliveira, la lettre de son frère était révélatrice de cette répulsion.
Julio Cortázar, Marelle, 1963,  traduit de l'espagnol par Laure Guille-Bataillon



Piet Mondrian



jeudi 22 novembre 2012

Un dépôt de la mort :


Debbie Fleming Caffery                  : + :
 
J'augmente avec ponctualité les pages de ce journal, au détriment de celles qui me feraient pardonner les années où mon ombre a demeuré sur la terre (Défense devant les survivants et éloge de Malthus). Cependant ce que j'écris aujourd'hui vaut comme une précaution. Je ne changerai rien de ces lignes. Malgré la faiblesse de mes convictions, il faut que je m'arrange avec mes connaissances actuelles : ma sécurité exige que je renonce indéfiniment à aucune aide d'autrui.
Je n'espère rien. Cela n'a rien d'horrible. Après m'y être résolu, j'ai recouvré la tranquillité.
(...)


Alfonso Batalla                 : + :

La logique nous commande de rejeter les espérance de Morel. Les images ne vivent pas. Il me semble cependant que, ayant déjà cet appareil, il conviendrait d’en inventer un autre, qui permettraitde verifier si les images sentent et pensent (ou tout au moins, si elles ont les pensées et les sensations qui habitèrent les sujets originaux durant l’enregistrement ; il est clair que la relation de leur conscience (?) avec ces pensées et ces sensations ne pourra pas être verifiée). Cet appareil, très semblable à l’appareil actuel, sera orienté vers les pensées et les sensations de l’émetteur ; à n’importe quelle distance de la personne, nous pourrons obtenir ses pensées et ses sensations (visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives).
Et un jour on inventera un appareil plus complet. Ce que nous pensons et sentons durant la vie – ou durant les moments enregistrés – sera comme une alphabet grace auquel l’image continuera à tout comprendre (comme nous pouvons, avec les lettres de l’alphabet, comprendre et composer tous les mots). Alors la vie deviendra un dépôt de la mort. Mais, même à ce moment-là, l’image ne vivra pas ; elle n’aura pas connaissance d’objets essentiellement nouveaux. Elle connaîtra seulement tout ce qu’elle a senti ou pensé, ou les combinaisons ultérieurs de ce qu’elle a senti ou pensé.


Assaf Shaham                 : + :


Il n'est plus désespérément asservis que ceux qui se croient libre - Goethe
  Occupy Wall-Street                 : + :

Le fait que nous ne puissions comprendre rien en dehors du temps et de l’espace permettrais peut-être de suggérer que notre vie n’est pas, de façon appréciable, différente de la survivance que l’on obtiendrait par cet appareil.
Adolfo Bioy Casares,  L’invention de Morel, 1940, traduit de l'argentin par aA. Pierhal.

lundi 19 novembre 2012

Et vient même à sa rencontre :

František Kupka (1871-1957) - Autoportrait vers 1905

Et même si ce qui était parfaitement invraisemblable avait soudain pris forme, est-ce que du coup tout est perdu ? Au contraire. Ce qu’il y a d’encore plus invraisemblable que la chose la plus invraisemblable, c’est que tout soit perdu. Certes, lorsque l’administré est dans la chambre, la situation est très grave. L’angoisse vous étreint le cœur. On se demande : « Combien de temps pourras-tu résister ? » Mais il n’y aura pas de résistance, on le sait. Vous n’avez qu’à bien vous représenter la situation. L’administré qu’on n’a jamais vu et toujours attendu, attendu avec une véritable soif, et qu’on a toujours eu la sagesse de considérer inaccessible, cet administré se trouve assis là. Par sa seule présence muette, il vous invite à pénétrer dans sa pauvre vie, à en faire le tour du propriétaire et à y souffrir avec lui de la vanité de ses requêtes. Cette invitation dans le silence de la nuit est envoûtante. On y répond, et alors on a en réalité cessé d’être fonctionnaire. C’est une situation dans laquelle il devient vite impossible de rejeter une demande. Pour être exact, on est désespéré, pour être encore plus exact, on est très heureux. On est désespéré, car être assis là sans défense à attendre la demande de l’administré, en sachant que sitôt formulée, on devra la satisfaire, même si, pour autant qu’on puisse soi-même en juger, elle risque littéralement de démanteler l’organisation administrative – c’est sans doute la pire chose que l’on puisse rencontrer dans l’exercice de ses fonctions. Surtout – indépendamment du reste –, parce que c’est aussi une montée en grade tout à fait inconcevable que l’on revendique par la force. En effet, notre position ne nous autorise pas à exaucer des demandes comme celles dont il est question, mais en présence de cet administré nocturne, notre pouvoir de fonctionnaires lui aussi grandit pour ainsi dire, nous prenons des engagements qui ne sont pas de notre domaine, et nous irons même jusqu’à les honorer ; comme un voleur dans la forêt, l’administré nous arrache en pleine nuit des sacrifices dont nous serions incapables autrement –, bref, voilà où nous en sommes tant que l’administré est encore là, qu’il nous donne des forces, nous contraint, nous aiguillonne, et que tout se passe quasi inconsciemment, mais qu’arrivera-t-il ensuite, lorsque tout sera fini, et que l’administré nous quittera rassasié, indifférent, et que nous nous retrouverons seuls, sans défense, face à notre abus de pouvoir – c’est impossible à imaginer. Et pourtant nous sommes heureux. Comme le bonheur peut être suicidaire ! Nous pourrions nous efforcer de cacher la vraie situation à l’administré. De lui-même, il ne se rend compte de rien. Épuisé, déçu, sans scrupule, insensible à force d’être épuisé et déçu, il croit sans doute être entré par un hasard quelconque dans la mauvaise chambre ; il est assis là, ignorant tout et pour s’occuper, si tant est qu’il s’occupe, il songe à son erreur ou à sa fatigue. Ne pourrait-on le laisser tranquille ? On ne peut pas. Le bonheur rend bavard, et l’on se sent obligé de tout lui expliquer. Sans pouvoir se ménager le moins du monde, on est obligé de lui exposer en détail ce qui est arrivé et pourquoi c’est arrivé, l’extraordinaire rareté et l’importance unique de cette occasion, on est obligé d’exposer à l’administré qu’il est tombé sur cette occasion dans un total désarroi, comme seul un administré en est capable, mais qu’à présent s’il le souhaite, monsieur l’Arpenteur, il peut tout dominer, et pour cela il n’a qu’à présenter sa demande, dont la satisfaction est déjà prête et vient même à sa rencontre – il faut lui exposer tout cela, c’est une heure difficile pour le fonctionnaire. Mais une fois qu’on a fait cela aussi, monsieur l’Arpenteur, l’essentiel est accompli, il faut se résigner et attendre.
Franz Kafka (1883 -1924), Le château (publié en 1926), traduit de l’allemand par Axel Nesme



František Kupka (1871-1957) - Spectre jaune - 1907

vendredi 16 novembre 2012

Cent mille milliards :


Cent mille milliards de poèmes

Le vieux marin breton de tabac prit sa prise
pour du fin fond du nez exciter les arceaux
la découverte alors voilà qui traumatise
il chantait tout de même oui mais il chantait faux
Je me souviens encor de cette heure exeuquise
quand se carbonisait la fureur des châteaux
le gourmet en salade avale sa cytise
quand les grêlons fin mars mitraillent les bateaux
Devant la boue urbaine on retrousse sa cotte
on comptait les esprits acérés à la hotte
lorsque Socrate mort passait pour un lutin
On a bu du pinard à toutes les époques
les Indes ont assez sans ça de pendeloques
mais on n'aurait pas vu le métropolitain
Raymond Queneau
: + :




Cent mille milliards de poèmes

Quand l'un avecque l'autre aussitôt sympathise
pour du fin fond du nez exciter les arceaux
le chauffeur indigène attendait dans la brise
il ne trouve aussi sec qu'un sac de vieux fayots
Le cheval Parthénon frissonnait sous la bise
du client londonien où s'ébattent les beaux
le gourmet en salade avale sa cytise
à tous n'est pas donné d'aimer les chocs verbaux
Du Gange au Malabar le lord anglais zozotte
on comptait les esprits acérés à la hotte
le chemin vicinal se nourrit de crottin
On regrette à la fin les agrestes bicoques
exaltent l'espagnol les oreilles baroques
si l'Europe le veut l'Europe ou son destin

Raymond Queneau
 




Cent mille milliards de poèmes

Lorsqu'un jour exalté l'aède prosaïse
snob un peu sur les bords des bords fondamentaux
le cornédbîf en boîte empeste la remise
elle soufflait bien fort par dessus les côteaux
Il déplore il déplore une telle mainmise
que n'a pas dévoré la horde des mulots?
un frère même bas est la part indécise
l'enfant pur aux yeux bleus aime les berlingots
On sèche le poisson dorade ou molve lotte
le chat fait un festin de têtes de linotte
même s'il prend son sel au celte c'est son bien
Sa sculpture est illustre et dans le fond des coques
on s'excuse il n'y a ni baleines ni phoques
l'écu de vair ou d'or ne dure qu'un matin

Raymond Queneau



mardi 13 novembre 2012

Williams mix :

Partition-patron de Williams mix de John cage - 1951-1953

500 pages de partitions pour la première octophonie
Piètre réduction stéréo :


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Paul Williams - Architecte -  Theme building  - Aéroport de Los Angeles - 1961











mercredi 7 novembre 2012

La mort impose :


Titien - Le supplice de Marsyas - 1570 - 1576



Jean-Paul Marcheschi - détail - +                                                                                                          

Lorsque la nuit se déchire, un fond strident, apeuré et sanglant, réapparaît. Ce fond-là, l'avons-nous jamais quitté ? Le peintre pense avec le corps, son étendue, sa pesanteur. Là, dans ces profondeurs inaccessibles à la vue, vit et respire le corps inimaginable. En cette "conscience qui se projette" entrent les liquides, les matières, les organes et leurs parties les plus secrètes. Sur ces rivages que peu d'entre nous approchent, se fabrique la pensée des peintres. C'est en de tels lieux – lieux rouges, abrupts, flamboyants – que le vieux Titien a accosté dans l'étonnant Marsyas de Kromeritz. Tableau terrible – étrangement jubilatoire – où le corps renversé du silène que l'on écorche est placé au tout premier plan. Son fils bien-aimé vient de mourir de la peste qui, en cette année 1576, ravage Venise. Théâtre cruel que cette œuvre ultime, jusque dans ce détail du chien en contrebas venant laper le sang versé sur le sol. Là, comme dans la Pietà de l'Accademia, le Titien debout, muré dans sa caverne, ce temps retrouvé des peintres, a rétabli la paroi, et c'est aux doigts qu'il peint désormais. La facture du Marsyas est étrange. Œuvre fiévreuse, sauvage, dansante où le style somptueux de la première manière est détruit. Ce n'est plus seulement un corps que l'on peint, c'est la peinture qu'on écorche. Peau noire, épaisse de la toile, matière labourée, tendue, pantelante, où brillent çà et là des rouges lie-de-vin, des roses pâles, des verts bronze, des filets d'écarlate. L'ignoble tégument, ce parchemin de chair écartelée, disséquée, ce corps à la fois misérable et splendide, devient l'emblème de la peinture. Dans ce prestigieux lignage, tous les écorchés de l'art – des bœufs de Rembrandt aux sangliers de Fautrier, jusqu'aux matières hérissées et rugueuses d'Eugène Leroy – iront s'engouffrer. La mort impose soudain au peintre que le code – et ce qu'il doit au siècle – tombe. Une no style position (chère à De Kooning) semble l'emporter. D'ailleurs, le Titien est là, immobile dans la forêt de sang. Sous les traits du roi Midas, il se tient, à la droite du tableau et, s'il adopte la pose du penseur, il n'a d'yeux que pour l'écorchement.

Jean-Paul Marcheschi Pontormo Rosso Greco, La déposition des corps, Editions Art 3, Nantes, 2011




Grand oracle de Solutré 1



Onze mille nuits



Aube 2



La sciarra


mardi 6 novembre 2012

Et quand on sent quelque chose...





-Le truc c'est qu'ils croient qu'ils savent tout, dit-il soudain, et ils le croient parce qu'ils ont fait un grand tas de livres et qu'ils les ont mangés. Ça me donne envie de rire parce qu’on fond c'est des braves types mais ils sont convaincus que ce qu'ils étudient et ce qu'ils font sont des choses très difficiles et très profondes. C'est pareil au cirque, Bruno, c'est pareil aussi pour les musiciens. Les gens se figurent que certaines choses sont le comble de la difficulté et c'est pour çà qu'ils applaudissent les trapézistes et qu'ils m'applaudissent. Je sais pas ce qu'ils s'imaginent, peut-être qu'on se décarcasse pour bien jouer ou que le trapéziste se pète un tendon chaque fois qu'il fait un saut. Mais ce qui est vraiment difficile, c'est pas çà. C'est, par exemple, regarder ou comprendre un chat ou un chien. La voilà la difficulté. Hier soir je me suis regardé dans cette petite glace et c'était si terriblement difficile que j'ai failli sauter du lit, je t'assure. Imagine un peu que tu te voies vraiment toi-même ; çà suffit à te glacer pour une demi-heure. Ce type-là, en face de moi, çà n'était pas moi, pendant un instant j'ai senti clairement que çà n'était pas moi. Je l'ai surpris en passant, je l'ai pris au dépourvu et su que çà n'était pas moi. C'est une chose que j'ai sentie et quand on sent quelque chose... mais c'est comme à Palm Beach, après une vague une autre qui arrive, puis encore une autre... T'as à peine senti quelque chose que voilà les mots qui rappliquent... Non, ce n'est pas les mots, c'est ce qui est dans les mots, cette espèce de colle, de bave. La bave arrive et elle te recouvre, elle te persuade que le type du miroir c'est toi. Mais bien sûr, voyons, c'est bien moi, mes cheveux, ma cicatrice. Et les gens voient pas que c'est seulement la bave qu'ils acceptent et c'est pour çà que çà leur paraît si facile de se regarder dans une glace. Ou de couper un morceau de pain.
Julio Cortázar, L'homme à l'affût, 1958, traduction de Laure-Guille Bataillon, +



    : + :

lundi 5 novembre 2012

Briser quelque chose :

 
A n d r e y   R e m n e v - Thunder-storm - 2006 - +



Chorus - 2006


Je souris de mon mieux, comprenant vaguement qu'il a raison, mais ce qu'il pressent et ce que je devine de son pressentiment va s'effacer, comme toujours, dès que je serai dans la rue et que j'aurai repris contact avec ma vie de tous les jours. Sur le moment je sais que ce qu'il me dit n'est pas simplement dû au fait qu'il est à moitié fou, que la réalité lui échappe et lui laisse en échange une espèce de parodie qu'il convertit en espérance. Je ne peux pas écouter tout ce qu'il me dit dans ces moments-là en me promettant d'y repenser plus tard (d'autant que cela fait plus de cinq ans qu'il me raconte et raconte à tout le monde des choses de ce genre). A peine est-on de nouveau dans la rue, à peine est-ce le souvenir de Johnny et non plus Johnny lui-même qui répète ces mots, que ce ne sont plus que divagations nées de la marijuana, gesticulation monotone (car il n'est pas le seul à raconter ces choses-là, les témoignages de ce genre abondent) et l'irritation succède à l'émerveillement et j'ai presque l'impression que Johnny s'est fichu de moi. Mais cela se produit toujours après coup, jamais au moment où Johnny me parle, car à ce moment-là je sens que quelque chose voudrait se frayer un chemin, une lumière qui cherche à s'allumer, ou plutôt comme s'il était besoin de briser quelque chose, de le fendre de haut en bas comme un tronc en y introduisant un coin et en cognant dessus jusqu'à ce qu'il éclate. Mais Johnny n'a plus assez de force pour donner des coups de maillet et moi je ne saurai pas du tout quel maillet il faudrait pour enfoncer un coin dont je n'ai pas la moindre idée.
Julio Cortázar, L'homme à l'affût, 1958, traduit de l'espagnol par Laure-Guille Bataillon.



Lot's wife - 2005


Red-Hair - 2004

vendredi 2 novembre 2012

Loin de se perdre en des rêveries :


William Gale Gedney - famille Cornett de Leatherwood, Kentucky, 1964 - +

 
Beaucoup de médecins estiment, avec M. de Lanessan, “que l’habitude de fumer n’est en réalité ni meilleure ni plus mauvaise que celle de fumer du tabac ou de boire des liqueurs alcooliques”. L’abus en est certes dangereux, comme de toutes choses, mais les sages savent se garder de l’abus. À ce sujet, hier, un lettré m’exposait que certains riches Chinois permettent à leurs enfants l’usage de l’opium. Le Chinois me semble en tout plus pondéré, moins passionné que l’Annamite, son fils dégénéré. Certains Célestes pensent que le goût de l’opium n’est pas bien ruineux ; il retient le jeune à la maison et l’empêche de courir après les femmes ; enfin ceci est à noter — en roulant sa pipe, sur son lit de camp, le Chinois pense à ses affaires et cherche de nouvelles combinaisons commerciales. De tous les peuples, le peuple des fils de Han est celui qui consomme le plus d’opium ; et, pourtant, l’esprit chinois, dans sa vigoureuse originalité, ne semble guère obscurci ou affaibli par la noire drogue ; loin de se perdre en des rêveries de buveur de bière, le Céleste a donné au monde des livres dénués de tout transcendantal fatras, déroulant les préceptes les plus clairs de la morale pratique ; loin de fumer jusqu’à atténuer sa faculté génératrice, il inonda les trois continents de son flux à qui nul Jéhovah n’oserait dire : “ Tu n’iras pas plus loin ! ” Enfin, loin de se livrer, les yeux ouverts, aux extases du songe, il est le commerçant sans rival qui ruinerait le Juif et l’Arménien eux-mêmes et les ferait s’agenouiller d’admiration devant son génie fait de bon sens, de clairvoyance et de finesse.
Propos d’un intoxiqué, Jules Boissière, 1890, +.











Willie, Vivian et leurs douze enfants.